L'Aiguille et le Balancier Victorin Fabre (1785 - 1831)

Dans le palais de Médicis...
Attendez... Non, du Directoire...
Bah ! du Sénat, depuis l'an dix...
Du Sénat ? Ah ! pauvre mémoire !
On te laisse à la porte en arrivant ici.
Oh bien ! sans ton secours je vais conter l'histoire.
Que de héros voudraient qu'on fit la leur ainsi !

Me croirez-vous, lecteur ? dans cet antre d'Éole
Il est... « Des outres ? » -Non, vraiment, une boussole.
Vous demandez pourquoi : je le demande aussi,
Car l'aiguille est sûre et fidèle.
La pauvre aiguille, un jour, vit s'agiter près d'elle,
Sous un cadran tout neuf, un adroit balancier.
D'abord d'être surprise, et puis de s'écrier :
«Mais repose, avance ou recule !
Beau voisin, mon ami, quel emploi ridicule !
Passer deux fois, en deux instants,
De la droite à la gauche, et revenir à droite !
Es-tu chargé, dis-moi, par cette marche adroite,
De mener les vaisseaux sur les écueils flottants ?
-Si flotter est un tort faut-il qu'on me l'impute ?
Oh ! dit- il, vois plutôt ; je vais comme le temps,
Et j'obéis à la minute.
-Mon bon ami, je te plains fort :
Tu dois bien fatiguer ! -Pas du tout. Le ressort
Donne le mouvement. Ce n'est pas moi qu'il lasse !
Je vais où l'on me pousse, et c'est toujours ma place.
-Peste ! le sot volant ! » A ce trait familier,
Survient je ne sais qui, dont la voix excellente,
Du haut de l'escalier, s'écrie : « Ah ! l'insolente !
Moi ? dit- elle : je parle à ce bon balancier.
Si mon discours le pince, est-ce à vous de crier ?

Quand on frappe sur sa bascule,
Monseigneur, par hasard, se croit-il l'écolier
Dont la main reçoit la férule ?
Il va du nord au sud, revient du sud au nord,
Disant que c'est certain ressort
Qui le pousse ! Eh bien ! la prudence
Manque à ce ressort-là... Mais, peut-être j'ai tort,
Car ce bel instrument n'a guère l'apparence
D'être fait pour mener les pilotes au port. »

Fable 51




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