Sur un cadran trois aiguilles marchaient,
Tantôt s'éloignaient, s'approchaient,
L'une courant avec vitesse,
Sur ses pas revenait sans cesse >
La seconde allait lentement,
Et l'autre douze fois plus lentement encore.
Une des trois un jour dit assez gravement :
» En vérité que je déplore
L'aveuglement de notre sœur
Trottant par sauts comme une folle !
Ne saurait-elle "aller avec plus de lenteur ?
Qui l'en empêcherait ? Je crois, sur ma parole,
Que la tête lui tournera,
Et que bientôt cette jeune étourdie
A reculons galopera,
Pour nous donner la comédie.
Mais, si je dois tout dire enfin,
Pourquoi donnez-vous donc dans un excès contraire
Ma sœur ? A chaque tour je vous laisse en chemin.
Vous ne vous en souciez guère,
Répondrez-vous ? d'accord ; mais si de tems en tems
Nous pouvions voyager ensemble,
On causerait du moins pendant quelques instans.
Hein ? Qu'en dites-vous ? Il me semble
Que cela pourrait s'arranger.
Je marcherais moins vite, et, sans rien déranger... »
L'autre plus prudente et plus sage,
L'interrompant lui dit » A quel plaisant usage
Dans ce cas pourrions-nous servir ?
Si j'allais plus vite, ma chère,
Ainsi que votre sœur il vous faudrait courir.
Abandonnez cette chimère,
A notre poste il vaut mieux nous tenir ;
Car chacune de nous a sa tâche à remplir.
Que notre allure soit plus grave ou plus légère,
Au même but nous devons concourir. »
De la société c'est là tout le mystère.
Taillé pour n'être qu'un soldat,
Et faire voltiger un large cimeterre,
Si le guerrier, devenu magistrat,
D'une épaisse moustache ombrageait son rabat,
La robe ne lui siérait guère.
D'un médecin étique ou d'un mince avocat
Feriez-vous un bon militaire ?
Fidèle à son penchant comme à son caractère,
C'est l'âne, et non le bœuf, qui doit porter le bât :
Le sage parfois délibère,
Mais ne sort pas de son état.