Les deux Chats Frédéric Rouveroy (1771 - 1850)

Un chat à la queue ondoyante
A l'œil mi-clos, au modeste maintien,
Chat optimiste, et possédant très-bien
Cette morale adroite et surtout consolante,
Qui nous défend de nous plaindre de rien ;
Assez souvent soutenait thèse
Contre un vieux rodillard, pessimiste effronté,
Glosant sur tout, faisant le dégoûté,
Et qui jamais n'était bien à son aise.
Notre optimiste un jour se trouvait par hasard
Blotti sous un épais fourrage,
Guettant quelque souris dans un champ à l'écart,
Le faucheur près de- là dépêchant son ouvrage,
Arrive au chat ; mais le pauvret
Bougeait peu. Le garçon, tranchant à sa manière
Lui passe sa faux meurtrière
Droit sous la queue, et la lui coupe net.
Sans y penser le chat fait la grimace,
A dix pieds saute lestement,
Laisse sa queue et part. Le faucheur la ramasse
Fort étonné de l'accident,
Et fàché d'un coup si funeste. !
A son gré devenu trop lestę
Notre chat écourté rappelait sa raison,
Son sang-froid, sa philanthropie
Et même sa gaîté, doux charme de la vie ;
Lorsque l'autre vint sans façon
Lui faire un compliment, ou plutôt la leçon :
» Oh ! pour ce coup-là je t'assure,
Malheureux mutilé, que t'y voilà bien pris !
Rends donc grâce au destin pour ta bonne aventure. »
De ton sarcasme amer je ne suis pas surpris,
Et je rends même encor grâce à ma destinée.
Si vers l'acier fatal ma tête un peu tournée.... »
Qu'en fût-il arrivé ?... Vous n'en savez trop rien,
Poursuivit notre chat d'un air froid et tranquille ;
On peut vivre sans queue et se porter fort bien,
Vivre sans tête est un peu dissicile. »

Livre II, fable 2




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