L'Écureuil et le Renard Frédéric Rouveroy (1771 - 1850)

Au haut d'un chêne, un écureuil
Jeune, éveillé, plein de souplesse,
Se balançait avec adresse ;
Un renard le guettait de l'œil :
Mais le lorgner toujours n'était pas son affaire.
Le papelard en tapinois
S'approche et dit, adoucissant sa voix :
» Ah ! cher enfant, ce que tu viens de faire
Prouve une extrême agilité !
Non, les oiseaux n'ont pas cette légèreté,
Ils voltigent moins bien ; crois-moi, tu les effaces ;
Aux vrais talents tu joins toutes les grâces,
Et du fond de mon cœur je t'en fais compliment :
Il ne te manque assurément
Pour te rendre immortel, que de franchir l'espace
Qui sépare ton chêne altier
De cet élégant peuplier.
Va, livre-toi sans crainte à ta sublime audace,
Et partout, de ce pas, je cours la publier. »
La louange est souvent perfide,
On ne peut trop s'en défier.
L'écureuil y fut pris. D'un regard intrépide
Mesurant l'intervalle, il cherche un point d'appui,
La queue épanouie un moment il balance,
Rassemble ses efforts et bientôt il s'élance ;
Le voilà dans les airs ! Déjà l'espace a fui.
Mais sur la branche flexible
S'arrêter est impossible,
Et le but qu'il atteint se dérobe sous lui ;
De chute en chute il tombe sur la terre.
Maître renard accourt et lui dit : » Mon ami,
Tu n'est donc adroit qu'à demi ?
J'en suis vraiment fâché, car j'ai connu ton père,
C'était un égrillard bien plus rusé que toi ;
Il n'eût pas sauté par ma foi !...
Viens, cher enfant, de ma pate mignonne
Que je caresse un peu ta gentille personne ;
Lève les yeux, regarde-moi.
Eh ! mais comme il est gras ! à peine je le touche
L'eau déjà m'en vient à la bouche,
En vérité c'est un morceau de roi ! »
Un léger bruit se fait entendre,
Le renard écoute un moment,
Tourne la tête... et lestement
L'autre s'échappé sans attendre
L'événement.
Il vole, il est déjà presque au sommet du chêne.
Là bien en sûreté, sur son derrière assis :
» Seigneur renard, dit-il, ayant repris haleine,
Grand merci de vos bons avis ;
Vous ne vous plaindrez pas, j'espère,
A l'avenir par moi de les voir mal suivis.
Que n'ai-je à vous donner un conseil salutaire
Dont vous puissiez un jour vous trouver aussi bien !
Je n'ai pas connu votre père,
Mais s'il avait tenu le mien...
Il l'eût croqué je crois, car c'était un compère
Dans la forêt très-respecté.
Je me souviens qu'on m'en a raconté
Le trait suivant ; notez-le je vous prie :
C'est qu'il ne jugea de sa vie
De la bonté d'un mets, s'il n'en avait tâté. »
L'oreille basse et la mine allongée,
Vous eussiez vu notre piteux renard
Furtivement se glisser à l'écart ;
De la leçon, entre eux deux échangée,
Pour tout butin n'emportant que sa part.

Livre II, fable 1




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