« Halte-la. Dis-nous, camarade,
Ou tu vas porter cette noix.—
Eh ! mais, dans mon grenier, je crois.
Voyez un peu quelle incartade !—
Dans ton grenier ! et sans payer les droits ? »
Un jour ainsi prenaient querelle
Deux Ecureuils, fils de notre Jura.
«Les droits, dis-tu ? Quelle est cette énigme nouvelle ?—
Regarde ce pilier qui te l'expliquera.
C'est ici la frontière. — Eh ! mon ami, nous sommes
Des Ecureuils et non des hommes.
C'est pour eux ce poteau. Là Suisses, là Français.
Chez eux autre terre autre espèce,
Et tout pour le mieux, je le sais ;
On dit que homme est tout sagesse.
Mais nous, libres enfants des bois,
A qui le ciel en apanage
Donna les champs déserts et les toits de feuillage
Nous, petits Ecureuils, las d'écouter sa voix,
Irons-nous gâter son ouvrage,
Morceler ce bel héritage,
Et nous gêner de vaines lois ?
Pour moi, vrai citoyen du monde,
Je promène en tous lieux ma course vagabonde.
Tout pays est le mien où je vois de bons fruits.
A l'air que je respire, au terrain que je foule
Demanderai-je qui je suis ?
Eh ! vois, mon doux ami, vois le ruisseau qui coule
Au pied même de leur coteau :
Pour quitter les monts d'Helvétie
Feras-tu payer à cette eau
Droits d'entrée et droits de sortie ?
Vois encor ce pommier si beau :
Il fut sur les confins planté par la nature,
Et sur les deux pays il étend sa ramure ;
Mais, pour monter aux fruits que ta part doit mûrir,
Si ma sève s'égare, et chez toi va courir,
Pour te ravir cet avantage
Irai-je dans le tronc la saisir au passage ?
Sot embarras et, sotte loi.
Qui voudra l'observe ; pour moi
Sans scrupule je m'en écarte.
Je remplis mon grenier sans consulter la carte.
Et toi, voudrais-tu m'en punir ?
Imite-moi plutôt. Que si, par aventure,
Ma case est mieux pourvue au temps de la froidure,
A mon marché viens te fournir.
Nul octroi ; l'amitié, l'intérêt le conseille.
Un jour tu me rends ia pareille. —
Mais les hommes enfin, dis-tu, ne sont pas fous.
Ils n'ont pas sans raison place cette barrière.—
Je le crois, et qu'ils sont heureux a leur manière.
Le plus sir est pourtant de l'être comme nous. »
Assis sous les rameaux du pommier limitrophe,
Un pauvre pèlerin du petit philosophe
Recueillit le discours.
Peuples amis, donnez-lui cours.
Du palais et de la chaumière
Qu'il puisse un jour franchir le seuil,
Et que s'ouvre au commerce une libre carrière
À la voix de notre Ecureuil !