Les deux Écureuils Frédéric Rouveroy (1771 - 1850)

Aime ton frère, et ne lui fais jamais
Ce que tu ne veux pas qu'on te fasse à toi-même,
Et, dût-il être gras, comble-le de bienfaits :
Tel fut dans to les tems le précepte suprême.
Détestant ses pareils sans motifs ni raison,
Un écureuil vivait dans le creux d'un vieux chêne ;
Et très-souvent y passait la semaine
En vrai hibou, ne quittant sa maison
Que pour aller chercher son modique ordinaire.
On l'aurait cru d'un méchant caractère,
Car il était assez brutal,
Et, sans savoir pourquoi, haïssait un confrère
Son voisin, qui jamais ne lui fit aucun mal.
Le pauvre petit animal
Était doux, obligeant, honnête,
Gai, vif, léger, ne se fâchant de rien,
Or, il advint qu'un jour étant en quête
Le loup-garou fut donner de la tête
Dans certain piège, et s'y prit bel et bien.
Le lendemain, le voilà mis en cage ;
Loge dorée à triple étage
Et brillante comme un palais.
Là tout se réunit pour combler ses souhaits :
La dame du logis lui portait à toute heure
Noisettes, cannelas et biscuits à foison.
Pourtant il regrettait, dit-on,
Et très-amèrement, son antique demeure ;
Où gémissaient quelques petits,
Tous tremblotants et bien jeunes enfants
Hélas ! s'écriait-il, imprudente pécore,
On m'offre ici vingt mets exquis,
Pauvres enfants, et la faim vous dévore !...
Il se trompait quelque peu sur ce point.
Le voisin en rôdant autour de cet asile,
Sut distinguer leurs cris ; l'autre ne venant point,
C'était fait de leurs jours ! Il trouva si facile
D'empêcher de mourir ces petits malheureux. !
» Demain, sans doute, il reviendra près d'eux,
Se disait-il, et même il devrait bien le faire
Dès aujourd'hui, car c'est une pénible affaire
Que de jeûner un jour, si ce n'en est pas deux.
A quoi pense ce solitaire !
Ah ! mon voisin, cela n'est pas très-bien
D'abandonner ainsi votre progéniture,
Qui, je l'espère au moins, ne manquera de rien. »
Il fournit à leur nourriture
Pendant un demi-mois entier.
Au bout de ce temps-là, le pauvre prisonnier
S'esquive un jour traînant sa chaîne,
Comme un forçat de son bagne (28) échappé.
Il s'émeut de douleur en voyant son vieux chêne,
Qui dominait au loin son rustique domaine.
Mais, c'on est fait, son espoir est trompé,
Ses enfants ne veut plus !... il gémit, s'inquiète,
Craint d'approcher, s'éloigne et revient de nouveau,
Marche en tremblant... Autour d'un perfide rameau
Le lien qu'il traînait s'enveloppe et l'arrête.
Il se plie, il repasse, il veut se dégager,
Et tous ses mouvements accroissent son danger.
Mais qui l'attache encore à sa triste existence ?
Quel motif consolant peut adoucir son sort ?
Hélas ! il ne demande, il n'attend que la mort ;
Tout est perdu pour lui jusques à l'espérance !..
Jouant, sautant, caracolant,
Toujours bien gai, bien pétulant,
Le voisin passe... Il voit le solitaire,
Le reconnaît et vole à son secours :
» Je viens, dit-il, sauver vos jours.
C'est très- facile au moins, chacun pourrait le faire. »
En achevant, il entame soudain
Un beau collier de maroquin,
D'où pendait la perfide chaîne,
Le coupe net, et l'autre en liberté
Lui rend grâces. » En vérité,
Mon cher voisin, ce n'en est pas la peine,
N'en parlons plus. Venez, nous irons voir
Des gens qui vont vous recevoir
Avec plaisir nous allons les surprendre ;
Car vous les avez fait attendre,
Un peu long-tems ; mais vous n'en pouviez rien. »
Notre solitaire vit bien
Qu'il lui devait plus que la vie.
Lors tout honteux de sa misanthropie,
Comme à son tour il aima de bon cœur
Son généreux libérateur !
Il devint doux et sociable ;
Pour les infortunés sensible et secourable,
Il sut mettre à profit la leçon du malheur.
D'un bienfait signalé telle est la récompense ;
Jamais il n'opère à demi,
Et la douce reconnaissance
D'un ennemi souvent sait nous faire un ami.

Livre I, fable 21




Commentaires