Dans un grand pré plein d'une herbe excellente
Depuis long-tems des bœufs paissaient,
Et Dieu sait comme ils engraissaient !
De sa pâture succulente
L'un d'eux pourtant vint à se dégoûter
Et s'avisa d'aller brouter
Les joncs amers d'un marécage
Pour se réveiller l'appétit.
Notre animal à pesant équipage
Descend vers le marais, et petit-à-petit,
Sans s'en apercevoir, le voilà qui s'engage
Dans ce terrain fangeux qu'il ne connaissait pas ;
Puis, voulant s'en tirer, enfonce davantage.
Tout va de mal en pis. Le pauvre bœuf hélas !
Périssait ses amis, témoins de sa disgrâce,
Couchés et ruminants voyaient son embarras ;
Mais nul ne veut bouger de place
Pour l'aider à sortir d'un aussi mauvais pas,
Et c'est en vain qu'il les implore.
Il y serait peut-être encore,
Si par hasard un pauvre et vieux cheval
N'eût pris pitié de sa détresse.
Chargé du poids des ans, l'obligeant animal
Vint pour le secourir, et d'abord il s'empresse
A le dégager des roseaux ;
Creuse la vase sous les eaux,
Et de ses pieds l'écarte avec adresse
Aplanit tout et lui fraie un chemin.
Par leurs efforts unis tout réussit enfin ;
Et du marais fatal, épuisé, hors d'haleine,
Ne se traînant qu'avec lenteur,
Le pesant bœuf sort avec peine.
Le cheval l'aide encore -» O mon libérateur,
Que j'ai de grâces à te rendre,
Et que je voudrais bien m'acquitter envers toi !
Mais ce bienfait a droit de me surprendre ;
Étranger, quel instinct t'a donc porté vers moi ?
Tandis que mes amis, témoins de mon effroi,
Vers le marais refusaient de descendre ?.. »
Vos compagnons toujours heureux,
Dit le cheval, ont feint de ne pas vous entendre ;
A ce trait d'égoïsme il fallait vous attendre,
Mais je ne puis agir comme eux ; ^
Mes malheurs ont trop su m'apprendre
A secourir les malheureux. »