Le Cerf et les Bœufs Gilles Corrozet (1510 - 1568)

Fortune rejette les craintifz.

Le trop couard, craintif, desesperé,
De son salut n'est jamais asseuré,
Soit chez aultruy ou qu'il soitchez le sien ;
Eschappé n'est qui trayne son lien.


Ung Cerf fuyoit devant les Chiens courantz ;
Pour se saulver se mist en une estable.
Leans estoient plusieurs Boeufz demourantz :
Sy leur requiert qu'on luy soit favorable,
Et qu'on permette en ce lieu secourable
De se musser. L'ung des Boeufz luy va dire :
« Tu n'es pas bien, il n'est pas de lieu pire
— Que cestuy-cy pour y trouver mercy :
Car, sy tu es trouvé caché icy,
Tu souffriras la mortelle poincture. »
Le Cerffuyttf, de crainte tout transy,
Y demoura, print le hazard aussi
De vie ou mort pour derniere adventure.

Le serviteur, pour appaiser la faim
De tous ces Beufz, leur vint donner repas.
Le Cerf estoit caché dedans le fein
Sy tresavant qu'tl ne le trouva pas ;
Le maistre ausst vint aprés pas a pas,
Lequel, ainsi que dans le fein cherchoit,
Trouva le Cerf qui dessoubz se cachoit.
La il fut pris et occis tout 4 Pheure.
Ung malheureux en vain cherche et labeure
Pour se saulver, il est en la fin pris ;
Mais cest par luy qui ne tient voye seure,
Et n'y a lieu qui le cache ou asseure,
Puis que fortune a sur luy entrepris.
Fable 42


Titre original : Du Cerf et des Boeufz

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