Le jeune Cerf et les deux Bergères Jean-François Haumont (17** - 18**)

Un jeune cerf, ou plutôt un daguet,
En un bois l'autre jour paissait,
Dans la sécurité que donne l'innocence.
Il entendit les cors, les chiens et les chasseurs,
D'un funeste plaisir tous les avant- coureurs ;
Etonné, sans expérience,
Qu'est-ce donc que j'entends, et quel vacarme affreux,
Disait-il, vient troubler la paix de ces beaux lieux ?
Le malheureux ne pensait guère
Qu'il était l'objet de la guerre
Dont les hommes se font un barbare plaisir ;
Qu'innocent, il devait périr.
Les chiens lancés, suivent la piste,
Le surprennent à l'improviste.
Notre daguet, dans ce danger pressant,
Prend la fuite et court lestement.
Au bout d'une route il débuche ;
Mais las ! où trouver un refuge ?
Deux bergères, dans ce moment,
Au coin d'un bois filaient tranquillement.
Le fugitif les voit, puis s'approche et réclame
Leur amitié, leur secours, leur crédit,
En leur disant je suis un malheureux proscrit,
Et je ne sais quelle fureur enflamme
Contre moi les chiens, les chasseurs :
Qu'ai-je donc fait pour toutes ces horreurs ?
Les bergères répondent à ce triste langage :
Votre sort est affreux, excite la pitié ;
Entre nous deux, acceptez un asyle,
Nos faibles soins, notre amitié :
Reposez-vous, soyez tranquille,
Nous ferons tout pour vous sauver
Si l'on daigne nous écouter.
La meute poursuivait la trace
Les chasseurs arrivent bientôt
Les deux bergères aussitôt
Leur dirent : accordez la grâce
A ce pauvre petit, nous vous en supplions,
Et c'est à vos genoux que nous la demandons.
Ah ! quel plaisir pouvez- vous prendre
De mettre à mort un animal si doux ?
À la pitié daignez vous rendre ;
Voyez nos pleurs, nous refuserez - vous ?
Les chasseurs, pour toute réponse,
Ne font que rire du discours ;
Et malgré ce faible secours "
L'arrêt de mort se prononce.
Un des piqueurs, terrible et vigoureux,
L'arrache de leurs bras, le lance dans la plaine.
L'infortuné court à perte d'haleine ;
Mais dans l'instant le malheureux
Est suivi de nouveau : sa perte était jurée ;
Il succombe, il est aux abois ;
Les chiens furieux à-la-fois
Le déchirent et font la sanglante curée.
L'homme toujours parle d'humanité ;
Ses actions souvent prouvent sa cruauté.

Livre III, Fable 13




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