Les deux Chevaux de chasse Jean-François Haumont (17** - 18**)

Que la course est un sot métier !
Disait à son voisin un superbe coursier :
Je ne veux plus retourner à la chasse ;
Mon maître sans pitié me lasse
A courre après le cerf, le chevreuil ou le daim.
Ce que tu dis est très certain,
Répondit l'autre, et comme toi je pense ;
Tout le mal est pour nous sans nulle récompense ;
Dès ce moment il ne faut plus courir,
Le cerf, animal doux, paisible,
Le mettre à mort, quel barbare plaisir !
Homme cruel ! être insensible !
Sans moi, vous pouvez désormais
Suivre le cours de vos forfaits.
- C'est fort bien dit ; mais comment nous soustraire ?
Il n'est pas facile. --- Au contraire ;
Le premier jour qu'on sonnera
Le boute-selle, et qu'on nous montera,
Loin de partir, tenons-nous fermes,
Sans mouvement, comme deux Termes.
- Ne crains-tu pas le fouet, les cruels éperons ?
- Je me cabre, et bientôt l'on quitte les arçons.
- Je me rends, mon ami, ta raison est fort bonne :
La liberté me plaît, la nature la donne.
Le complot fait, le lendemain,
Voulant chasser de grand matin,
Les maîtres de nos deux rébelles
Se préparent, remplis d'ardeur :
Ils sont à peine sur leurs selles,
Que les chevaux avec fureur
Se cabrent, sautent, se mutinent.
Les éperons aux flancs, on veut les corriger ;
Soins superflus, ils reculent, s'obstinent :
De la selle il fallut enfin se dégager.
Pour se venger, on résolut de vendre
Ces chevaux devenus rétifs.
Le lendemain, sans plus attendre,
On emmène les deux captifs
Au marché du voisinage :
Mais quel fut leur triste partage,
Et que de maux ils vont souffrir !
C'est la poste qu'ils vont courir.
En vain ils veulent se défendre,
Tous les barbares postillons,
De leurs fouets, de leurs éperons,
Les réduisent ; alors il fallut bien se rendre.
Hélas ! s'écriaient-ils, notre sort est affreux ;
Courre le cerf était un état plus heureux.
Si de changer d'état il vous prend fantaisie,
Jeune homme, pensez-y ; très-souvent c'est folie.

Livre III, Fable 12




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