Le Cerf-volant et le Pigeon Joseph-Marie de Gérando (1772 - 1842)

S'élevant dans l'empire où domine l'orage,
Dressant son front au firmament,
Un cerf-volant balançait mollement
Dans les airs son léger corsage.
De sa queue ajustée en flocons élégants
Il faisait serpenter la longue chevelure,
Et de sa double oreille agitant la parure,
Dans ses folâtres jeux semblait braver les vents.
S'étalant avec complaisance
Aux regards de l'astre du jour,
Il contemplait tout à l'entour
Avec l'œil du mépris et de l'indifférence.
Du haut des airs il souriait
En voyant un pigeon, en cercles, près de terre,
Voler, puis se poser ; de loin il lui criait :
« Dans quel humble horizon tu concentres ta sphère !
Dis, que fais-tu là-bas ? Viens, viens planer ici !
Eh ! ce n'est pas voler que de rôder ainsi !
Est- ce donc pour cela que la mère nature
Des ailes, pauvre enfant, t'a donné la parure ? »
De ce discours ne prenant nul souci
Notre pigeon, discret, modeste et sage,
Poursuivant son pèlerinage,
Point ne répond, s'occupe, et remplit son objet.
Au pigeonnier bientôt il rentre satisfait ;
Aux champs il a trouvé d'une bonne pâture
D'abondantes provisions ;
Sa petite famille aussi, dans les sillons,
Reviendra, sur ses pas, chercher la nourriture.
Il acquiert donc et force, et science, et vertu,
Et pour son avenir l'utile prévoyance
Dans ses excursions a travaillé d'avance.
Cependant, dès longtemps, sur le sol abattu,
Le cerf-volant était tombé, privé de vie ;
On l'emporte au logis, on l'enferme, on l'oublie.

Vous m'avez compris, chers enfants,
Car vous revenez de voyage.
Vous avez vu beaucoup de cerfs- volants,
Voyageurs dont l'humeur et frivole et volage
Satisfait en courant leur sotte vanité,
Ou d'un esprit vide et peu sage
L'oiseuse curiosité.

Pour vous, vous avez, je l'espère,
Suivi de mon pigeon l'exemple salutaire ;
Vous revenez meilleurs et plus instruits.
Tel sera donc pour vous chaque pèlerinage ;
Récoltant avec soin tout sur votre passage,
Vous en conserverez les fruits.

Livre II, Fable 24




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