Les deux Voyageurs Joseph-Marie de Gérando (1772 - 1842)

« Papa, je voudrais voyager, »
Disaient à la fois à leur père
Deux jeunes gens, dans cet âge prospère
Où tout séduit : « Au pays étranger
« Nous puiserons une utile science,
Et reviendrons ensuite près de toi. »
Papa consent, mais sa prudence
Du retour dans deux ans leur impose la loi.
Dès le moment l'aîné monte en voiture,
Prend son livre de poste et, comme un éclair, part.
Le second se pourvoit de diverse lecture
Et consulte avant son départ.
La double année est bientôt révolue :
Le père embrasse ses deux fils,
Et pour fêter la bienvenue,
Il réunit à dîner ses amis.
Chacun, le verre en main, questionne, raconte :
« Mon fils aîné, qu'as-tu vu ?
- J'ai vu.... tout.
Ah vraiment, mon fils, c'est beaucoup !
Mais ne me fais-tu point un conte ?>>>
De mon temps je n'ai rien perdu ;
Comme tu penses bien, j'ai dû
D'abord visiter l'Italie,
La Suisse, le Tyrol, l'Autriche, la Hongrie ;
Puis au travers de l'empire ottoman
J'ai pénétré jusque dans l'Indostan.
J'ai visité la Perse et passant la mer Noire
Des czars j'ai parcouru l'immense territoire ;
Par l'Allemagne, enfin, ici je suis venu,
Et, sans une maudite guerre,
Je serais aussi parvenu
A traverser l'Espagne et l'Angleterre. » -
Sans doute, en parcourant ces lieux
Quelque chose, surtout, aura frappé tes yeux ?
Fais-nous quelques récits, d'abord, sur l'Italie :
- Rome ?
- Grande cité. - Florence ? - Bien jolie.
- Parle-nous de leurs monuments.
- De les bien observer je n'ai pas eu le temps,
Car j'allais à grande vitesse ;
Celui-là seul arrive, qui se presse.
- Et toi, mon second fils, parle, dis à ton tour.
- Moi, je ne suis allé qu'à Rome, et, sur ma route,
J'ai fait aussi quelque séjour.
- A Rome seulement ?
- Et si papa le permettait,
Sans doute,
J'y retournerais voir mieux que je ne l'ai fait.
Chacun le questionne alors et sa réponse
Aux désirs de chacun pleinement satisfait ;
Il intéresse et son langage annonce
Qu'il en dit bien moins qu'il n'en sait.

Au pays du savoir l'étude est un voyage :
Qui veut tout parcourir n'apprendra jamais rien.
En sachant se fixer, le sage
Apprendra peu, mais saura bien.