Le Jeu de quilles Joseph-Marie de Gérando (1772 - 1842)

Sur le terrain en ordre disposées,
Neuf quilles fièrement portaient leurs fronts rivaux.
A des intervalles égaux,
Sur leurs pieds arrondis côte à côte posées,
Elles croyaient au loin répandre la terreur
Par leur attitude arrogante.
Des Macédoniens la phalange puissante
Ainsi de Mars méprisait la fureur.
Que craindre d'une simple boule
Qui semble menacer les neuf superbes sœurs ?
La boule, cependant, part, arrive, elle roule,
Et partout de la mort apporte les horreurs.
Au moindre ébranlement chaque quille succombe ;
Bien loin de se prêter un secours mutuel,
Le plus souvent quand l'une tombe,
L'autre en reçoit un contre- coup mortel.
« Croyez-moi, folles que vous êtes,
Plus vous élèverez vos têtes,
Et plus le danger s'accroîtra.
Si sur une base profonde
Votre édifice ne se fonde,
Au moindre souffle il croulera.
Dans votre nombre en vain votre orgueil se confie ;
L'être isolé ne peut longtemps se soutenir.
En s'alliant chacun se fortifie :
Pour résister et vaincre, il faut s'unir. »