Une mère avait un enfant
Qu'elle élevait avec un soin extrême.
Les soins ne coûtent rien, quand c'est pour ce qu'on aime.
Aux mères la nature inspire ce penchant.
Celle-ci prévenait de sa fille chérie
Chaque désir naissant, chaque petite envie,
En fournissant abondamment
Ce qui pouvait servir à son amusement.
Force joujoux, grand nombre de Poupées
En beaux habits et des mieux équipées,
Et des pantins qui dansaient lestement.
L'enfant en ressentait un grand contentement.
Quand elle fut tant soit peu plus âgée,
On voulut la sevrer de ces vains passe-temps ;
Mais son affection était trop engagée
Pour quitter de bon cœur ces divertissements.
Sa pente l'y portait sans cesse.
On avait beau s'y prendre avec adresse,
Pour l'exciter de bonne heure au travail :
Elle disait d'un sens-froid admirable,
Et quelquefois d'un air fort agréable :
A quoi sert- tout cet attirail ?
Tricoter, filer, coudre et broder des manchettes,
Ne sont que d'autres amusettes,
Des jeux d'enfants et des joujoux :
Autant vaut ma Poupée et son petit ménage.
Je travaille aussi bien que vous.
L'amusement est donc notre commun partage.
La mère enfin le prit sur le haut ton :
Lui dit qu'on ne doit point être ainsi dissipée,
Et qu'il faut qu'à son âge une fille occupée,
Commence à recevoir de l'éducation.
Mais la fille revient à son refrain mignon :
Autant vaut-il jouer avecque ma Poupée.
Procurez-moi quelqu'occupation,
Qui me forme l'esprit, qui jette dans mon âme
Ce feu divin, cette céleste flamme,
Qui dans les cœurs fait germer les vertus,
Et qui tient sous nos pieds les vices abattus :
Tout autre soin ne mérite que blâme.
C'est ce que la fillette en un livre avait lu
Et fidèlement retenu,
À ce discours la bonne Dame,
Ne pouvant revenir de son étonnement,
Travaille à lui donner avec empressement
Une éducation solide et sérieuse.
Elle fut même assez heureuse
Pour réussir parfaitement.
Je crois et ce n'est pas trop dire,
Que plus des trois quarts des humains,
Ne cessent point d'être dans le délire,
Et laissent échapper les vrais biens de leurs mains.
Le cercle de leurs jours n'est qu'une longue enfance,
Que les désirs produits par la folle inconstance,
Occupent à des jeux d'enfants.
Chacun a sa Poupée et ce sont les affaires,
Peu solides, peu nécessaires ;
Les plaisirs vains et séduisants,
Et les projets imaginaires,
Auxquels on donne tout son temps.