La Gazelle, sa Fille et le Loup Pierre Chevallier (1794 - 1892)

Une toute jeune gazelle,
Qui commençait à trottiner,
Suppliait sa maman de vouloir la mener
Voir la grande forêt, brouter l'herbe nouvelle.
Mère gazelle redoutait
D'exposer sa fille chérie
Aux dangers qu'au grand bois fréquemment on courait.
Avec raison elle pensait
Qu'au moindre bruit, tout ahurie,
La pauvrette ne saurait pas
Dans le taillis suivre ses pas.
Sois, lui dit-elle un jour, sois moins impatiente,
Ma chère fille, et dans un mois,
Alors que tu seras plus leste et plus prudente,
Tu viendras avec moi te promener au bois.
Je t'en ferai brouter les plus tendres herbages,
Nous nous reposerons sous ses charmants ombrages
Et je t'en montrerai les dangereux endroits ;
Mais jusque-là sans moi, Bichette,
Je te l'ai déjà dit et je te le répète,
Ne sors pas du rocher, notre toit protecteur,
A toute indocile chevrette
Sache que tôt ou tard il arrive malheur.
Il est des animaux qu'une simple défense
Porte à la curiosité ;
Bichette était du nombre. Un jour, lors d'une absence
Que fit sa mère, elle eut de la verte cité
Le désir de goûter l'herbage.
Elle sort du logis, avance eD hésitant,
S'arrête, puis reprend courage,
Avance encor, mais à l'instant
De la maraude à jeun un gros loup revenant
Se présente sur son passage.
Jugez de sa frayeur : l'animal carnassier
Sur ses traces se précipite.
Gomme il allait l'atteindre et lui faire expier
Son impardonnable conduite,
La mère, par bonheur, en cet affreux moment,
Vient à passer et voit sa fille
S'enfoncer dans une charmille.
Elle accourt et soudain tombant
Devant la bête furieuse,
Elle contrefait la boiteuse,
Retombe, au loin l'attire, agit tant et si bien
Que, par ce captieux moyen,
Elle arrive à sauver l'objet de ses alarmes.

Quand trois nouveaux printemps développant tes charmes
Sur toi, chère Céleste, auront encore lui,
Souviens-toi de ma fable, et surtout, je l'espère,
Garde-toi d'oublier que le cœur d'une mère
Pour une jeune fille est le/plus ferme appui.

Livre III, fable 1




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