Le Lion, la Gazelle et le Serpent Emile Erckmann (1822 - 1899)

Sous la grifse d'un vieux lion,
Dit-on,
Était tombée une gazelle :
« Ah ! monseigneur, s'écriait-elle,
Mon Dieu, que vous me faites mal !
Grâce, grâce, je vous en prie !
— Que l'on se taise ou que l'on crie,
il faut mourir, dit le brutal...
— Mourir si jeune, est-ce possible ?
Seigneur, ayez pitié de moi.
Voyez, voyez, je meurs d'effroi !
— Assez, dit le monstre impassible,
Résigne-toi vite à la mort,
Bien d'autres ont subi ton sort'. »
Il s'étalait fier et superbe,
Quand un serpent caché dans l'herbe
Siffle, se redresse et le mord.
A cet instant son cri de rage
Fait trembler tous les environs.
On croirait entendre un orage
Gronder au fond de ces vallons.
Les yeux pleins de fauve lumière,
Hérissant sa rude crinière,
il s'efforce en vain de saisir
Le reptile, à la dent tenace,
Qui de ses nœuds puissants l'enlace ;
Bientôt il ne peut plus rugir,
il étouffe, et soudain implore.
La gazelle, vivant encore,
Lui dit : « As-tu peur de mourir ?
Toi, qui ne fis grâce à personne,
Tu vas disparaître à ton tour.
Lion, voici ton dernier jour...
Comme le mien ton cœur frissonne
En face de l'éternité
Où règne enfin l'égalité. »

Livre III, fable 16




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