Dans son pays un fin renard
Croquait de temps en temps un vieux coq, une poule,
Avait des ennemis en foule,
Se levait tôt, se couchait tard,
Et parfois attrapait la fièvre
À la poursuite d'un grand lièvre,
Qui' brusquement faisant un saut,
Dans le sillon voisin le mettait en défaut.
Ayant à nourrir sa famille,
il trouvait l'existence amère, dissicile.
Quand, un jour, songeant à cela,
Le plus bel avenir pour lui se dévoila.
C'était au premier temps de notre république :
« Nous sommes, se dit-il, en pleine liberté;
Je me fais nommer député ;
Le simple bon sens me l'indique,
Je vais représenter congrûment à Paris
Les lièvres, les perdreaux, enfin tous mes amis. »
Aussitôt fait que dit, il se met en campagne ;
Le maire, Jean Lapin, volontiers l'accompagne.
Ils s'en vont récolter des voix...
A travers champs, dans les bourgades,
Dans les hameaux, au fond des bois,
Partout on reçoit bien les joyeux camarades ;
Les lièvres, les lapins, les dindons, les canards
Sont, comme chacun sait, bons amis des renards.
On trinque ensemble et l'on festoie,
On parle des élections ;
Chacun s'en mêle, et même l'oie
Expose ses opinions :
Elle aime avant tout sa gamelle ;
Et Jean Lapin pense comme elle.
« Ce qu'il nous faut, ce sont nos droits !
Dit le renard, droits d'affouage,
Droits de glandée et de pacage ;
Là-bas, je voterai des lois,
Pour votre plus grand avantage.
Comptez sur moi, je vous promets
De combler vos moindres souhaits. »
Il ne s'agit que de s'entendre,
Et tous paraissent le comprendre.
De là partent nos pèlerins,
Par monts, par vaux et par chemins,
ils vont faire des conférences
Dont les chiens partout sont exclus.
« De ces gredins on n'en veut plus, »
Dit le renard, et des bravos immenses
Couvrent la voix de l'orateur.
« Je serai votre serviteur,»
Ajoute le rusé compère.
Bref, il emmanche son affaire
Si bien, que, le grand jour venu,
Selon qu'il était convenu,
Il se voit nommé sans conteste ;
Ses concurrents ont une veste
Qui fait rire tout le pays.
Lui, roule déjà vers Paris,
De beaux projets la tête pleine.
« Au lieu de les prendre un à un
Et de rentrer souvent à jeun,
Je vais les prendre à la douzaine ; »
Se disait le gueux de renard,
En souriant d'un air cafard.
« Que m'importe la valetaille,
Et les lapins et la plumaille ? »
11 le fit et fut renommé,
Tant qu'il voulut, dans sa province,
D'argent et d'honneurs affamé,
il se dorlota comme un prince,
Et ne songeant jamais qu'à soi ;
Criant tantôt : Vive le roi !
Tantôt : Vive la république !
Vivent les grands ! Vivent les gueux !
Selon les temps, selon les lieux,
il brilla dans la politique.
Sachez flatter le souverain
Et serrez la main de ce brave,
Entonnez toujours son refrain,
il sera votre esclave.