Les deux Geais et le Pinson Pierre Chevallier (1794 - 1892)

A L'époque où déjà le peuple ailé des bois
Eprouve du soleil la secrète influence,
Voltige d'arbre en arbre et tout joyeux commence
A sentir de l'amour l'impérieuse voix ;
Un geai, qui n'était pas de première jeunesse,
Parlait et reparlait du matin jusqu'au soir
D'une sémillante maîtresse
Dont il venait de se pourvoir.
Elle était, disait-il, pour lui tout cœur, tout flamme,
Et, si parfois il s'absentait,
Toujours à son retour il retrouvait la dame
Qui de ne plus le voir déjà se lamentait.
Grâce à tant de jactance, à tant de bavardage,
Son incomparable beauté
Avait acquis dans le bocage
Une grande célébrité.
Désireux d'obtenir cette rare merveille,
Un geai, qui ue comptait encor que deux printemps,
Fin, vif, aux yeux d'azur, à la huppe vermeille,
Ayant un petit air des plus entreprenants,
Discrètement s'en va lui déclarer sa flamme,
Tandis que mon bavard, dans de lointains bosquets,
Racontait ses amours et ses heureux succès.
Sur tout cœur féminin (soit dit sans épigramme)
Un compliment toujours produit un bon effet :
Galant et beau diseur était mon freluquet.
Aussi bientôt sous la coudrette
Se mit-il à compter fleurette
Tant et si bien qu'à son vieux geai
Notre belle donna congé.
Celui-ci, furieux, soudain livre bataille
A son jeune rival ; mais n'étant pas de taille
En un clin d'oeil il fut bel et bien déplumé,
A grands coups de bec assommé.
Un caustique pinson, témoin de la querelle,
Le voyant ainsi fait, boiteux, tirant de l'aile,
Allant clopin-clopant, le désespoir au cœur,
Lui dit d'un ton demi-railleur :
— Si tu peux voir un jour repousser ton plumage
Et près du sexe encore obtenir du succès,
Rappelle-toi ce vieil adage :
Amants heureux, soyez discrets.

Livre II, fable 20




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