Unjour un petit lapin
A cervelle assez légère,
Loin du terrier de sa mère
Allait broutant la bruyère,
Le serpolet et le thym.
Arrivé sur la lisière
Du bois qu'il a traversé,
Il y rencontre un fossé
Large comme une rivière.
Alors, dressant l'oreille et levant le museau,
Il voit, sur l'autre bord de l'eau,
Un animal poli qui fait la révérence.
« Si je vois bien, dit-il, ce doit être un renard.
Les siens passent chez nous pour très-méchante engeance
Je ne sais trop pourquoi, car vraiment son regard
N'exprime que la bienveillance ;
Son salut me paraît plein de grâce et d'aisance.
Il a l'air de vouloir causer :
Que craindrais-je ? Cette eau nous sépare, et je pense
Que je puis fort bien m'amuser
A jaser.
Voyons donc : Eh, monsieur ! Si je n'ai courte vue,
L'herbe de ce côté me semble bien tondue,
Et vous avez dû faire un fort maigre repas.
- Il est vrai, mon enfant, dit le renard ; hélas !
Je n'ai pas comme vous un beau parc pour demeure.
Mais moi, je suis si sobre ! En tous lieux, à toute heure,
Avec quelque herbe sèche ou deux fruits d'un noyer
J'ai de quoi me rassasier.
Je ne demande rien, ne fais mal à personne ;
Et quoiqu'on ait tenté de me calomnier,
Je trouve toujours assez bonne
La mince part de biens que nature me donne.
- Oh ! reprit l'imprudent lapin,
J'avais deviné juste, et j'en étais certain.
Vous êtes à mon sens une bête admirable ;
C'est un vrai sage qu'un renard ;
Et je conviens que, pour ma part,
Je m'arrangerais mal d'un régime semblable.
Mais le ciel m'a bien mieux traité :
Nous sommes riches, nous, et vivons dans l'aisance ;
Notre terrier est abrité
Contre les froids d'hiver ; et puis, pendant l'été,
C'est une maison de plaisance ;
Le serpolet croît à l'entour,
Et ne permet qu'à nous d'en retrouver l'entrée ;
Nous ne redoutons là, chien, furet, ni vautour ;
Nous sortons dès le point du jour,
Et ma mère, le soir, se retrouve entourée
De ses quatorze enfants.
- Quatorze ! dites- vous...
Ce doit être un moment bien doux !
- Oui, quatorze, pas davantage ;
Et tous bien nourris, gras et frais ;
C'est une famille, je gage,
Telle que l'on n'en vit jamais.
- Fort bien, dit le renard, je vous en félicite ;
Mais ce parc n'est pas moins une grande prison,
Et le fossé... — Du tout ; quand il nous semble bon,
Nous pouvons au dehors aller faire visite :
Un petit pont se trouve à deux sauts du terrier,
Et nous offre à toute heure un commode passage.
Ah ! vous avez un pont dans votre voisinage ?
— Oui ; mais gardez-vous bien de l'aller publier
Chez quelque animal carnassier. »
Tel fut le dangereux langage
Qu'au renard tint notre lapin.
Or, voilà que le lendemain,
A l'heure où la famille entière
Sort de son souterrain pour aller voir le jour,
Sous une grifse meurtrière
Chaque lapin tombe à son tour.
Nul ne fut épargné, ni les fils, ni la mère.
Notre jeune imprudent se repentit trop tard
De sa funeste étourderie ;
Et quand il reconnut le perfide renard :
« A tous les miens, dit-il, j'ai donc coûté la vie !
Cruel ! que vous avions- nous fait ?
Vous êtes un méchant. - Et vous un indiscret. »