Un benêt de pourceau se mit un jour en tête
Qu'il était quelqu'un d'important ;
Chose qui n'a rien d'étonnant
De la part d'une pauvre bête,
Quand maint pauvre homme en fait autant.
Ce pourceau bien gras, bien stupide,
Bien malpropre, bien paresseux,
S'avisa de penser qu'on était trop heureux
De lui donner bon gîte et pitance solide,
Le tout pour ses beaux petits yeux.
Il en conclut qu'il devait être
Au moins le favori du maître :
« Car, enfin, disait-il aux autres animaux,
Vous, qui vous croyez mes égaux,
Qu'êtes-vous près de ma personne ?
Vous, messire cheval, l'avaine qu'on vous donne
Est le prix de votre labour ;
Et si l'on rafraîchit, le soir, votre litière,
C'est pour vous reposer des fatigues du jour,
Et pour recommencer quand revient la lumière.
J'en pourrais dire autant de ce bœuf encorné,
A cela près qu'il est un peu moins bien soigné.
Quant à notre vache laitière,
Nous savons dans quel but on la traite si bien.
Et pour monsieur Sultan, le chien,
Assurément il peut bien être
Glorieux de manger à la table du maître ;
Mais, en veillant la nuit pour chasser les voleurs,
Il achète un peu cher de semblables honneurs.
La brebis, on lui prend sa laine,
On l'expose à geler dans les nuits de printemps ;
Puis, elle peut aller grignoter, pour sa peine,
Quelques turneps flétris sur les coteaux brûlants.
Ainsi, dans tous tant que vous êtes,
Je vois de malheureuses bêtes
Qu'on entretient pour travailler,
Pour les tondre, les traire, ou les faire veiller.
D'un pareil sort au mien quelle est la différence !
On me soigne, on me nourrit bien,
Je dors tout à mon aise, et je remplis ma panse,
Sans qu'il m'en coûte jamais rien ;
Point de travail et point de gêne ;
Je vais, je viens, je me promène ;
Plus je suis gras et paresseux,
Plus mon maître paraît joyeux.
Or, ces soins dont on m'environne
Gratis et bénévolement,
Me semblent prouver clairement
L'importance de ma personne... »
Peut-être que notre cochon
Eût parlé longtemps sur ce ton,
Si d'un bras vigoureux, un garçon de la ferme,
Saisissant l'orateur grognon,
A son discours n'eût mis un terme.
Il poussa de grands cris, se débattit en vain ;
Il fut garotté fort et ferme,
Emporté de l'étable ; et dès le lendemain,
Subissant le sort de sa race,
Notre pauvre pourceau payait sa dette en masse,
En faisant du jambon, du lard et du boudin.
S'imaginer qu'on peut vivre aux dépens des autres,
Sans jamais rien faire pour eux,
C'est être injuste, fou, sot et présomptueux.
Chacun a ses devoirs, moi les miens, vous les vôtres ;
Chacun doit son écot, dans le commun banquet ;
Chacun, dans le trajet, doit porter son paquet.