Le Renard et le Lapin Antoine Furetière (1619 - 1688)

Près d’une Garenne murée
Demeurait un fameux renard,
Qui se voyant sevré par ce rempart
D’y faire ordinaire curée.
Fit proposer aux lapins assemblés.
Qu’en lui payant certain tribut modique,
Ils ne seraient désormais plus troublés
Dans leur petite république.
Un vieux lapin, en plein sénat,
Dit qu’il fallait, pour le bien de l’État,
Se cotiser et se soigner soi-même ,
Et qu’ils vivraient dans un bonheur extrême
Pour quinze ou vingt lapins par an,
Qu’ils offriraient à ce tyran;
Que, pour faciliter l’affaire,
La taxe serait volontaire
Et payable à discrétion,
Selon que chacun d’eux aurait dévotion.
Cet avis plut; et la troupe lapine
Tout aussitôt en sa faveur opine,
Quand, au donneur d’avis, un jeune lapereau
Qui craignait un peu pour sa peau,
Rompt en visière et lui dit: Notre maître,
De ces, vingt, en voulez-vous être ?
Quand vous serez enrôlé le premier,
J’offre d’y passer le dernier.
Le Vieux Lapin demeura sans réplique
Il eût beau remonter l'honneur qui reviendrait,
A tout brave Lapin, qui se sacrifierait,
Pour la tranquillité publique.
Quand il eût tenté tous moyens,
Qu'il eût fait une longue enquête,
Il n'en trouva pas un si bête,
Quand d'acheter à ses concitoyens,
La paix, aux dépends de sa tête.

Vantez-nous, tant qu’il vous plaira,
L’honneur, L’amour de la patrie,
Personne ne s’exposera
Quoique la morale nous crie,
Au trépas qui sera certain
Pour le salut de son prochain.

Fables morales, Fable 32


Titre original : D'un Renard et des Lapins

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