L'Aigle et le Renard Pierre de Frasnay (1679 - 1753)

L'Aigle, Souverain des Oiseaux,
Maître Renard que l'on ne trompe guères,
Amis, voisins, dans un parfait repos,
Vivaient entre eux comme deux frères.
Sur un chêne touffu l'Oiseau s'était gîté,
Et le Renard au pied avait pris sa demeure ;
Ils parlaient ensemble à toute heure,
Par serment leur amour fut même cimenté.
Le Renard sort, s'en va chercher la proie,
Confiant sa maison à l'Aigle son voisin ;
Ami, dit-il, je te laisse avec joie,
Le soin de ma famille et de tout mon butin :
Tu serviras de mère en mon absence
A mes enfants, peuple doux et bénin,
Ils te rendront obéissance,
Et tu les garderas de tout mauvais destin.
Dans ce moment l'Aigle avait faim ;
A peine du Renard il a quitté la vue
Que sur les petits il se rue,
Des pupilles tremblants il se fait un festin,
A l'Aigle, à sa lignée ils servent de pâture.
Le Renard de retour ne trouve ses enfants ;
Il fait pour se venger des efforts impuissants,
Et demande à Jupin raison de cette injure.
Le crime ne fut pas impuni trop longtemps.
Pour se rendre des Dieux la majesté propice,
Les peuples alentour faisaient un Sacrifice,
Déjà l'on voit fumer l'holocauste et l'encens ;
Notre Aigle y vole et par un nouveau crime
Prend un morceau de la victime
Plein de charbons, de cendres et de feu,
La porte dans son nid ; on vît bientôt beau jeu,
Le vent souffle, le nid s'enflamme ;
Le Renard se tient aux aguets ;
Les Aiglons, cher espoir du ravisseur infame
Tombent par terre et le Renard sans frais
S'en saisit et ressent double joie en son âme ;
Sa faim et son courroux se trouvent satisfaits,
Et les oiseaux pour lui font un excellent met.
Témoin de son malheur l'Aigle fuit et s'envole ;
Mais de ses maux passés le Renard se console
Et rend aux Dieux grâces de leurs bienfaits.

Jupier tôt ou tard châtie
L'ami perfide et le mortel impie ;
Et la foudre qui brille aux mains des immortels,
Est fait pour punir les puissants criminels.

Livre I, fable 1




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