L'Hirondelle et le Pigeon Laurent-Pierre de Jussieu (1792 - 1866)

Une hirondelle avait couru le monde,
Franchi les monts, les plaines et les mers,
Et, dans sa course vagabonde,
Parcouru maints climats divers.
Elle avait vu, dans ses voyages,
Cent peuples différents de mœurs et de langages ;
Elle avait observé, réfléchi, médité
Sur chaque objet, sur chaque usage,
Et, comme aurait pu faire un sage,
De tout elle avait profité.
Or, revenant de sa tournée,
Et du nouveau printemps annonçant le retour,
Elle allait refaire à son tour
Ce même nid que, l'autre année,
Sa mère avait construit au sommet d'une tour,
Et dans lequel elle était née.
« Gardez-vous, » lui dit un pigeon,
Habitant casanier de la ferme voisine,
Gardez-vous de bâtir au toit de ce donjon,
Car ses murs menacent ruine.
Tandis que vous couriez les champs,
J'observais les choses céans ;
Or, j'ai vu de ces tours les bases ébranlées
Se fendre aux dernières gelées ;
Et bien plus, l'autre jour, ici, j'ai vu venir
Des gens à sinistres figures,
Examinant, toisant, et prenant des mesures, >>
Qui m'ont fait soupçonner qu'on songe à démolir.
— Grand merci, » dit ma voyageuse,
De votre officieux conseil ;
J'en ferai mon profit, et je me trouve heureuse
De pouvair à l'instant vous rendre le pareil.
Je vous ai vu tantôt, là-bas, près du parterre,
Voltiger autour de la serre :
Si jamais vous y pénétrez,
Prenez bien garde aux grains que vous y trouverez.
En planant au-dessus des vitres transparentes,
A travers leurs brillants châssis,
J'ai reconnu certaines plantes
Qui viennent de lointains pays,
Et dont les vertus malfaisantes
Peuvent donner un prompt trépas
A l'imprudent oiseau qui ne les connaît pas.
- Oh ! reprit le pigeon, je vous sais gré, ma belle,
De cette importante nouvelle ;
Adieu, je cours bien vite avertir mon petit.
- Et moi je vais, » dit l'hirondelle,
Chercher en lieu plus sûr la place de mon nid. »
Ces deux oiseaux avaient un esprit peu vulgaire,
Ils savaient écouter un avis salutaire.

On connaît son entour en restant au logis,
On observe autre chose en courant le pays ;
Le même homme ne peut voir tout, et tout entendre,
Etre partout, ni tout apprendre ;
Il est donc utile pour lui,
Dans mainte et mainte circonstance,
De savoir faire avec autrui
Un échange d'expérience.

Livre II, fable 3




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