La petite Fleur et la Neige de Mars Laurent-Pierre de Jussieu (1792 - 1866)

Au doux soleil de mars une petite fleur
Avait entr'ouvert son calice,
Comme l'enfant avec candeur
Sourit et veut courir en voyant sa nourrice.
Fleur, enfant, ne va trop songer,
Dans ce qui lui plaît, au danger ;
Il ne calcule pas si le temps est propice ;
Pourvu qu'à l'instant il jouisse,
Qu'importe pour lui l'avenir ?
Il ne voit pas si loin, et sa raison novice
Dans le présent croit tout tenir.
Ainsi ma fleurette empressée
Avait voulu trop tôt fleurir ;
Et voilà qu'au lieu de rosée,
Un soudain retour de frimas,
Ramenant brouillards et verglas,
La couvrit de neige glacée.
Surpris, et tout émerveillé
De se voir sur le sein d'une fleur si jolie,
Un brillant flocon étailé
En ces mots lui parla : « Belle petite amie,
« Comment avez-vous fait pour vous hâter si fort
De fleurir, sans prévoir la saison inconstante ?
- Ah ! » dit la fleur, « plaignez mon sort :
Sur le soleil d'avril je comptais..... imprudente !
Je ne le verrai pas, vous m'apportez la mort. »
En achevant cette parole,
La pauvre fleur déjà de froid se contractait,
Resserrait sa blanche corolle,
Et sur sa tige grelottait ;
Quand soudain un doigt tutélaire
Fit tomber la neige légère,
Et vint former, autour de l'innocente fleur,
De paille un rempart protecteur.
Sous cet abri, notre fleurette
Ne craignit plus de mars les retours inconstants ;
Et lorsqu'on découvrit sa tête,
Ce fut pour voir d'avril les rayons bienfaisants.

Age de l'inexpérience,
Garde-toi de trop te presser :
Mais lorsqu'après quelque imprudence,
Un péril vient te menacer,
Ne perds jamais toute espérance.
Le Dieu qui fit les fleurs songe à les protéger ;
Ne crains pas que sa providence
Oublie un faible enfant au moment du danger.

Livre II, fable 4




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