Bien qu’écloses au même instant
Bien que filles du même plant,
Inégales entre elles,
Au souffle du zéphyr
Deux Roses, sœurs jumelles,
Venaient de s’épanouir.
Fière d’un calice ou s’enroule
En cercles pressés une foule
De pétales de pourpre a l'arôme embaumé,
L'une parmi les fleurs se pose en souveraine;
L'autre de feuilles compte a peine
En sa corolle étroite un cercle clairsemé,
Ne répandant senteur aucune,
D’aucun coloris ne brillant.
— « Nous avons naissance commune,
Dit celle-ci; » Mais cependant combien,
Ma sœur, diverse est ma fortune !
Que mon sort peu ressemble au tien!
Entre nous deux tout est contraste ;
A toi le sceptre de beauté,
La pompe, la gloire et le faste !
Pour ta sœur la rusticité !
Tu répands des flots d’ambroisie,
Tes feuilles brillent l'incarnat ;
Moi, pale, chétive, avilie,
Je suis sans parfum, sans éclat.
— En effet entre nous commune est l'origine,
Reprit la sœur jumelle, » Et comme toi, ma sœur,
Je ne serais éclose qu'églantine
Si l'habile main d'un greffeur
N'avait transformé ma nature.
Je lui dois toute ma splendeur,
Mousse élégante pour parure,
Riche corolle, incarnat et senteur ;
Ma gloire est son entier ouvrage. »

Il est bien des esprits à ces fleurs ressemblant,
N’étant jumeaux que de lignage.
L'origine de l'un jamais ne se dément;
Pour autre la science est l'utile greffage
Qui d'une nature sauvage
Transforme le grossier instinct
Et fait d'un pâtre un Sixte-Quint.

Livre V, fable 4


Jardin d'Essai, 20 Janvier.

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