Les yeux du maitre engraissent le cheval ;
Rien n'est plus vrai que ce proverbe.
Par coup du sort fait riche et gonflé de superbe,
De tout seigneur voulant marcher l'égal,
Un maltôtier achète équipage royal.
La croupe des coursiers, leurs flancs, leur encolure
Sont tous miroités d’embonpoint
Et nuls n’ont plus brillante allure.
Par contre, le cocher a fort maigre figure ;
Mais ce fut avant peu l'inverse de tout point.
L’Automédon prend une ample carrure
Et les chevaux s'amaigrissent d’autant,
Perdant tout a la fois et vigueur et parure.
A l'aspect de ce changement :
« Voila des animaux de ficheuse nature ! »
Dit le maltôtier tout surpris ;
» D’attelage pareil je ne saurais que faire ;
» Le plus sage est de m’en défaire.
» Vendons-les ! n’importe à quel prix. »
Il fut dit, il fut fait ; bon juge de l’emplette,
Un vrai connaisseur les achète ;
Le cours d'un mois à peine est complété,
Les coursiers ont repris leur brillant miroitage
Et leur allure et leur fierté.
Le vendeur les rencontre un jour sur son passage :
Il s’étonne de leur vigueur ;
— « Expliquez-moi cette métamorphose, »
Dit-il au nouveau possesseur.
— » En vérité bien simple en est la cause ;
Voici, beau sire, en peu de mots
Ma réponse à votre demande :
J'ai soin que mon cocher aux dépens des chevaux
N’engraisse en mangeant leur provende. »
Ne mettons qu’a moitié fiance dans autrui !
En toute affaire,
L’œil du Maitre est cil nécessaire.
Le Bonhomme l'a dit ; je le dis après lui.
Alger, le 7 janvier, 1854.