Le vieux Chien et son Maître Gilles Corrozet (1510 - 1568)

Amour faulse.

Ceulx sont loing de la verité
Qui pensent que |’amour soit bonne,
Quand |’amy a l’amy s’adonne
Seulement pour l’utilite.


Quelque seigneur avoit ung Chien bien vieutx
Qui fut jadis de tous chassant le mieulx;
Mais par vietllesse il fut tant afoibly
Qu’il avoit mis toute chasse en oubly.
Ses piedz sont leniz et tardifz a la chasse,
Et toutesfois son maistre le menasse ;
Mais c’est en vain, le maistre a beau parler,
Le pauvre Chien n’a puissance d'aller.
Ung jour aux champs laisse eschapper la beste,
Parquoy luy feit son maistre grand moleste,
Et le batit de parolle et de coups,
Dont se complainct le Chien ainsi secoux,
En luy disant : « Seigneur, que penses tu ?
Je suis trop vieulx, je n’ay plus de vertu:
Pardonne donc a ma pauyre vieillesse,
Tu ne m’as pas ainst faict en jeunesse.
« Las! je voy bien qu’à present suis destruict ;
Rien ne te plaist Sil n’y a quelque fruict;
Tu mas aymé en jeunesse ferttlle,
Et tu me hays en vieillesse inutille.
« Ton amour donc et son commencement
Tu mis en moy pour ton avancement,
Et, quand j’ay eu mon aage ainsi passé,
Je suis de toy tresmal recompensé. »
Fable 22


Titre original : Du vieux Chien et de son Maistre

Commentaires