Le Maître et son Chien Jean-Jacques Porchat (1800 - 1864)

Apres boire certain Fermier
Un jour harcela sans mesure
Son vieux et fidèle portier,
Dogue au large poitrail, à la voix forte et dure.
Le Chien, mal disposé, d’abord l’en avertit.
Il fronça le museau (chez lui sinistre augure);
Puis il montra les dents, puis enfin s’en servit ;
Et gros chien ne fait pas de petite morsure.
« Brigand ! dit le Fermier. L’âge te rend mauvais.
Vois le sang de ton maitre. Ingrat, toi, le répandre !
Toi, déchirer celui que tu devrais défendre ! —
À qui les premiers torts, maitre ? Faisons la paix.
Ignorez-vous que la vieillesse
À ses moments d’humeur et de tristesse ?
Monfilard vous a mordu ; mais il vous lèchera.
Le sang qui la versé, sa langue l’essuiera.
De mon fait si le mat procède,
Venez, en voici le remède.
Venez, mais d’un Vieux serviteur
Ne faites plus votre amusette. —
Je guérirai sans toi ; va, garde ta recette,
Répondit le maitre en fureur.
Me servir de ta langue! Es-tu fou de le croire ?
Elle est trop prés de ta mâchoire.
Attends, attends, je vais querir
De quoi plier ton caractère.
Oh ! c'est moi qui veux te guérir ! »
Le maitre en sa maison trouve une muselière ;
Forte boucle d’acier, bonne et ferme lanière.
La voilà mise au pauvre Chien,
Qui pouvait se défendre, et pourtant n’en fit rien.
Seulement il laissa tomber deux grosses larmes.
Etre bouche cousue et privé de ses armes!
Lui, Moufflard, être emmusele !
La nuit vient : des brigands arrivent avec elle.
Moufflard, Moufflard est appelé.
Il accourt vaillant et fidèle;
Mais ses dents étaient sous scellé :
Il ne s’en put servir. Il hurle, il pleure, il crie...
Et le Maitre et le Chien y laissèrent la vie.
La force est un péril : faut-il donc s’en passer ?
Eh ! non, mais la régler en sage.
Ce fer tranchant pourrait blesser;
Je l’émousse : ii est sans usage.

Livre VIII, fable 6




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