L'Oeillet gagné Remacle Maréchal (1796 - 1871)

« Vivat ! » S'est écrié soudain
Un vieux chef de bureau, fleuriste
Aussi bizarre qu'égoïste
Qui possède un petit jardin
Tout au bout du quartier d'Outre-Meuse : « Victoire !
A moi l'honneur, à moi la gloire
D'avoir produit la perle entre tous les œillets !
O ciel ! que de beautés ! mes yeux, admirez-les !
C'est divin ! j'en perdrai la tête :
Courons vite aux amis montrer notre conquête...
Aux amis ?... qu'ai-je dit, des amis ! en a-t-on
Dont on soit sûr ? Hom, hom, je réfléchis….. non, non,
Ma foi, je n'irai pas d'une fleur non pareille
Me faire (que sait- on ?) jalouser la merveille.
Non, non, ma belle, à moi ton parfum, tes attraits ;
Dans ce frais petit clos pour moi seul brille en paix.
Sans nulle crainte qu'on l'éveille,
Que, fatigué de voltiger,
Sur toi le papillon léger
Mollement se berce et sommeille !
Que, pleine de dédain pour les fleurs d'alentour
Et de ses rayons d'or oublieuse, l'abeille
Vienne à ta corolle vermeille
Prodiguer ses soupirs, ses longs baisers d'amour !
C'est grâce à ma chaleur que tu deviens si forte.
Eh ! tiens, regarde : à peine on t'a mise à la porte
Que le faible zéphir aussitôt sans façon
De son moindre souffle t'emporte,
Bien plus facilement qu'il n'enlève au buisson
Sa plus légère feuille morte. »
Le feu, j'opine, avait parfaitement raison.

Esprit humain, ô toi, vapeur d'une autre sorte
Qui vient de l'impossible à bout
Et vole éparpillant ses miracles partout,
Oh ! montre-toi plus raisonnable
Que la vapeur de notre fable,
Qui si bien par le feu se vit humilier ;
Et lorsque de ta force à bon droit l'on s'étonne,
Sois assez sage au moins pour ne pas oublier
Le feu divin qui te la donne.

Livre II, fable 11




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