Deux chiens, Turc et Milord, nerveux, francs du collier,
S'en allaient voiturant, pour nos goinfres de Liège,
Force poulets captifs dans des cages d'osier.
Vint à passer un lévrier
(Ce chien a d'être oisif le noble privilège).
« Vois, dit Turc, quand tous deux nous avons le jarret
Tendu de l'aube au soir à tirer la brouette,
Ce grand flandrin, ce dameret
Flâne et de rien ne s'inquiète !
Aujourd'hui comme hier, demain comme aujourd'hui,
Chaque jour, en un mot, c'est dimanche pour lui !
Pourquoi plutôt que nous n'a-t-il, lui, rien à faire,
L'orgueilleux fainéant, si ce n'est bonne chère ?
Allons, Turc, tu grossis et nos maux et ses biens ;
Répond Milord il est désœuvré, j'en conviens ; -
Mais c'est ce qui le rend malheureux : il s'ennuie !
Hormis, par ci, par là, quelques heures de pluie,
Un peu de chaleur qu'on essuie,
J'aime mieux nos jours que les siens.
Quand se lève pour nous le soleil de dimanche,
Tous nos maux sont alors largement compensés :
Ce jour-là nous avons à peu près carte blanche,
Et, Dieu merci, sur les six jours passés
Nous prenons bien notre revanche.
Parlons de ses friands repas :
Au prix qu'il les obtient tu ne les voudrais pas.
Sais-tu tout ce qu'il faut pour cela qu'il mitonne
Et coure et gambade et bouffonne,
Pour aider ses seigneurs à tuer leur loisir ?
D'ailleurs, blasé sur tout, il n'a plus de désir...
Je trouve, au demeurant, notre table assez bonne,
Et si, comme chez lui, le fricot n'y foisonne,
Outre un bon appétit, nous avons le plaisir
D'avoir, en travaillant, gagné ce qu'on nous donne.
Va, de ce grand monsieur ne soyons point jaloux,
Et de lui ressembler, mon ami, Dieu nous garde ;
Son bonheur le mine : regarde,
Il est bien plus maigre que nous. »