Deux filles de mon voisinage,
D'un certain âge
(C'est la trentaine au moins qu'il faut entendre ici),
Vers Chèvremont, Adèle et Babet, côte à côte,
Le lundi de la Pentecôte,
Cheminaient fort gaiment. J'y cheminais aussi,
Les suivant d'assez près ; quand, ALA BONNE FEMME,
De deux jeunes farceurs sortant d'un cabaret,
Son chapeau bas, l'un à Babet
Souhaite le bonjour en l'appelant Madame ;
Tandis que gentiment, sur le beau temps qu'il fait,
L'autre vient accoster Adèle
En l'appelant Mademoiselle.
Nos filles là-dessus de rire et badiner,
D'un air à me laisser aisément deviner
Ce qui se passe alors dans l'esprit de chacune :
« Il m'appelle Madame ; il voit bien, pense l'une,
Que l'on est, pour avoir dès longtemps un mari,
Fille assez belle, Dieu merci. »
« Pour une demoiselle il nous prend, se dit l'autre,
Celui-là se connaît en minois, et le nôtre
A, certes, bien de quoi lui faire supposer
Que nous sommes à peine en âge d'épouser. »
Adèle et Babet, c'est l'histoire
De tout le genre humain : sans nulle exception,
Sage ou fou, riche ou gueux, honnête homme ou fripon,
Chacun trouve à s'en faire accroire.