Le sort avait fait naître en un même logis
Deux ou trois épagneuls, le nombre n'y fait guère,
D'une même maîtresse également chéris,
Mais jaloux l'un de l'autre, et partant ennemis,
À la faveur la plus légère.
Quand plus alerte ou plus heureux,
L'un d'eux s'était posé sur le satin moelleux
Qui parait les genoux de leur belle maîtresse,
A l'instant contre lui les autres se liguaient,
Se hérissaient, grommelaient, aboyaient.
D'injures, de brocards le harcelaient sans cesse.
« Voyez donc, disaient- ils, son air et son maintien ;
Il n'a ni grâce, ni noblesse ;
Le vil flatteur, le vilain chien !
Il fatigue madame, il la froisse, il la blesse. »
Le vainqueur du moment ne restait pas sans voix.
Il se dressait, grognait, et, prompt à la riposte,
Des grifses et des dents il défendait son poste ;
Aux cris des assaillants se mêlaient ses abois ;
Tant qu'à la fin, pour terminer la guerre,
La dame le jetait à terre.
Mais de son siège à peine avait-il déguerpi,
Que, sans craindre son sort, d'un élan plus rapide,
Un second épagneul s'y trouvait établi.
La place n'était jamais vide,
Ni le débat jamais fini.
Les acteurs seulement avaient changé de gamme.
C'était alors au favori déchu
D'injurier le nouveau parvenu,
D'infliger au tenant le mépris et blâme,
D'attaquer le giron qu'il avait défendu ;
Et la pauvre maîtresse, en tout sens tiraillée,
Sous leurs grifses toujours laissait quelque lambeau
De sa robe ou de son manteau.
Sa peau même parfois en était éraillée.
Ma dame, c'est la royauté ;
Ses faveurs sont emplois, cordons ou gros salaires.
Mes épagneuls, chacun s'en est douté,
Sont nos coureurs de ministères.
Tantôt dessous, tantôt dessus,
C'est la faveur ou la disgrâce
Qui fait leurs sentiments et souvent leurs vertus,
Aboyés quand ils sont en place,
Aboyeurs quand ils n'y sont plus.