Les Fleurs indigènes et les Plantes exotiques Auguste-Charles Delétant (1802 - 18??)

— « Conçoit-on l’engouement qu’inspirent aux humains
Ces plantes sans parfum, d’origine étrangère ?
Disait un jour la Rose de Provins
Aux fleurs qui tapissaient un élégant parterre ;
» On leur bâtit une maison de verre
» Où règne constamment une douce chaleur ;
» Un gardien vigilant sans cesse les surveille.
» D’où peul donc provenir une faveur pareille ?
» Car rien, en vérité, n’égale leur laideur. »
— « Je suis de votre avis, fit une Renoncule ;
» C’est révoltant, injuste, absurde, ridicule ;
» Et, comme échantillon, voyez ce Tropical
» Qui, semblable au cierge pascal,
» Se tient, là-bas, droit comme un Terme ;
» Armé de dards aigus, son affreux épiderme
» M’effraie autant qu’un loup-garou ;
» Puis on ose affirmer que ça vient du Pérou ! »
— « Et cette autre, à côté, reprit une Jonquille,
» Dont l’aspect seul me donne le frisson ;
» On jurerait un hérisson
» Se délectant au sein de sa famille ;
» Ma grand’mère prétend l’avoir connue en fleur.
» Remarquez-vous encor cette affreuse chenille
» Rampante sur le sol ? Tout cela fait horreur…
» A bas les étrangers ! Pour moi, je les abhorre. »
Tandis que ces propos, et mille autres encore,
Causaient dans le parterre un émoi général,
On entendit soudain, sous le toit de cristal,
Une voix s’écrier : — « Ah ! fleurs peu généreuses,
» Loin de porter envie à des sœurs malheureuses,
» Plaignez, plaignez plutôt notre destin fatal.
» Dans un affreux caveau sans cesse emprisonnées,
» Veuves de tout espoir, nous sommes condamnées
» À vivre en ce pays brumeux et glacial,
» Eh ! qu’importent à nous, victimes d’un caprice,
» Ces soins intéressés, cette chaleur factice
» Que l’homme, par calcul, daigne ici nous offrir !
» L’air et la liberté, le sol de la patrie,
» Voilà notre élément ; ôtez ces biens, la vie
» Est un affreux supplice ; il vaudrait mieux mourir. »

C’est à vous, gens pervers, dont la langue ne cesse
De médire d’autrui, que ma fable s’adresse ;
Réprimez, croyez-moi, vos sentiments jaloux :
Ceux dont vous enviez le rang et la richesse,
Sont souvent mille fois plus à plaindre que vous.





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