L'Amateur de Fleurs et le Pourceau John Gay (1685 - 1732)

Un amateur de fleurs, d'un goût original,
Avait fait d'un Pourceau son quasi commensal,
Et comme la jeunesse et s'ébat et patauge,
Pour qu'il fut toujours propre, on avait mis son auge
Loin du troupeau vulgaire, et tout près du château.
Continuellement se vautrant sous la table,
Il y ronflait, ou bien faisait chair délectable.
Son maître lui montrait à faire aussi le beau,
Et ce qui peut vous paraître incroyable,
Sitôt qu'il avait des loisirs,
L'emmenait avec lui partager ses plaisirs.

Or, un jour, qu'au jardin ensemble en promenade
Ils se trouvaient, tout comme une paire d'amis ,
Le maître interpella son grognant camarade :
"Ma maison, mon jardin, tout est à toi ; j'ai mis
Le plus grand soin, " dit-il, "à te plaire et complaire ;
Aimes-tu mes navets, mes haricots, mes pois ?
Tu peux t'en gaver à ton choix :
Si la carotte ou la pomme de terre
Ont des charmes pour toi, ne te gêne, déterre,
Donne-t-en à cœur joie et du matin au soir,
A cela je n'ai rien à voir :
Mais prends garde à mes fleurs, surtout à mes tulipes,
L'orgueil de mon jardin : -c'est là ton seul devoir,
A ton gré, sur le reste, ami, fais franches lippes."

Aperçut un baquet où fermentait de l'ale,
Le voilà les grains grignotant
Et puis humant cette boisson nouvelle ;
Il s'énivre bientôt, et s'en va zigzagant
Dans le jardin, où d'un œil clignotant
Il voit valser le ciel, les fleurs, la terre ;
De cette valse étrange il poursuit la chimère,
A soif, et de son groin creusant soudain le sol
Pour calmer son palais, d'eau fraîche y cherche un bol.

Mais tout-à-coup le maître arrive.
"Scélérat !... Calme-toi, riposte le Pourceau.
Et ma défense impérative
De toucher à mes fleurs ? .. Qu'en as-tu fait bourreau ?"
Il dit, et vers le sol laisse pencher sa tête.

Notre Pourceau répond en zézayant :
"Expliquez-moi, Monsieur, pourquoi cette tempête ?
Vos tulipes sont là, voyez leur air pimpant ?
Je n'ai mangé que les racines."

"Oui, targue-toi de tes rapines,
Animal !" dit le maître, et les coups de pleuvoir
Sur le pourceau d'abord. Mais d'un coup de boutoir
La bête exaspérée et traître
A bientôt abîmé la jambe de son maître.
Sots campagnards, et vous gens de châteaux,
Sachez que toits à porcs sont faits pour les pourceaux.

Le blessé clopinant regagna d'aventure
Son logis, tout penaud de sa déconfiture.

Celui qui pour ami ne choisit qu'un brutal
Tôt ou tard s'en trouvera mal !

Livre I, fable 48




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