La Cour de la Mort John Gay (1685 - 1732)

UN soir la Mort assise auprès de l'Agonie
Tenait sa cour en grand' cérémonie.
Des maux le cortège hideux
L'entourait terrible et nombreux.
Tout-à-coup cette voix, et sombre et sépulcrale,
Tomba du haut du trône à la troupe fatale :
"Que chaque serviteur fasse valoir son droit,
Il est juste qu'ici le mérite administre ;
Nous nommerons ce soir Notre Premier Ministre ;
Pour insigne il aura cette verge- -Ainsi soit !"

La voix se tait. Chacun prétend avoir l'insigne,
Et chacun de plaider que seul il en est digne.

Soudain la Fièvre en sa brûlante ardeur :
" Voulez-vous de mes droits connaître la valeur ?
Les bulletins de la semaine
Certifieront que ma marche est certaine,
Et que mon zèle est un zèle fervent.
Si quelquefois je suis intermittente,
C'est pour mieux m'assurer d'uncorps gras qui metente,
J'en deviens dans ce cas le plus sûr dissolvant."
Puis clopin clopinant se traîne Dame Goutte,
Elle dit : " Moi jamais je ne fais fausse route.
Je vais de-ci, de-là, tourmentant mon sujet
Et de la tête aux pieds, et du doigt au jarret,
M'acharnant à chaque phalange,
Jusqu'à ce qu'à crever à la fin il s'arrange. ”
Sort de la foule un Spectre.-Il a dit : "Moi j'ai pour
Principe de ternir les plaisirs de l'amour,
Voyez mes jambes sont sans os, et mes yeux caves,
Mon visage est sans nez, et mes lèvres sont hâves ;
A la verge d'ébène on ne saurait avoir
Des droits plus vrais . ' " Nous allons voir"
Tout-à-coup a dit la Gravelle ;
"Et moi j'ai plus de droits " reprend l'Erysipele !
"Et moi," dit en toussant d'une mourante voix
La Pthisie au corps maigre,
"J'ai plus de droits que vous tous à la fois,
Et si je ne suis pas allègre ,
Je fatigue et j'épuise, et comme Fabius
Par les délais sais vaincre-Eh ! que faut-il de plus ? "
"Il faut de plus, et sur un geste,
En une heure emporter un peuple, " a dit la Peste !

Les droits sont expliqués, et les débats sont clos ;
Un silence d'attente assombrit les échos.

De son trône la Mort soudain se lève preste :
"Je l'ai toujours pensé le mérite est modeste,"
Dit-elle, " eh quoi ! pas un seul médecin
Ne fait valoir ses droits pour être mon ministre ?
Il est vrai l'honoraire est un beau Saint Frusquin,
Mais cependant pour moi la chose est fort sinistre,
Dunque puisqu' après tout, c'est à moi de choisir :
A toi ma verge noire, aimable Intempérance !
Sois mon Vizir !
C'est par toi que mon règne et finit et commence.
Vous Fièvre, Goutte, et vous Messieurs les autres Maux
Auprès d'elle vraiment vous êtes des agneaux.
L'Intempérance est pour l'homme une amie ;
Elle est à ses banquets, se fait gastronomie ;
Sous le masque de la gaité,
Elle les hache tous comme chair à pâté.
Le Pourvoyeur pour vous étant l'Intempérance,
Son droit à cette place est son omnipotence! "


Livre I, fable 47




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