Le Peintre de village, l'Amateur et le Barbier Charles Desains (1789 - 1862)

Un peintre improvisé, dans un de nos villages,
Pour l'église brochait force mauvais ouvrages.
Cela se conçoit bien, n'ayant jamais appris.
Dans ses tableaux, du plus bas prix,
Toujours aussi mauvais qu'une mauvaise ébauche,
Il aurait presque fait un pied droit pour un gauche.
Et, soit qu'il figurât des saints ou des damnés,
Il leur peignait la mine si plaisante,
Que, pour ne pas leur rire au nez,
Il fallait prier Dieu d'une ardeur bien fervente.
Ce pauvre barbouilleur, de lui toujours content,
Tranchait du grand artiste et faisait l'important ;
De l'ignorance c'est l'usage.
Un amateur instruit, homme obligeant et sage,
Lui dit : Mon cher ami, quand je vois vos tableaux,
Dans votre intérêt je regrette
Que vous ayez pris la palette
Avant d'avoir acquis, en d'utiles travaux,
Le savoir par lequel le talent se complète ;
Sans l'étude on ne va jamais loin dans votre art,
Vous êtes jeune encore, il n'est donc pas trop tard
De faire ce qu'il faut pour devenir habile.
Venez me voir souvent, là, dans mon domicile,
Pendant les loisirs que j'aurai,
De bon cœur je vous apprendrai
Un peu de perspective, un peu d'anatomie ;
J'ai quelques bons tableaux, je vous les prêterai,
Vous en pourrez prendre copie.
En suivant les conseils que je vous donne ici,
Comme le grand Corrége en son noble délire,
Peut-être un jour pourrez-vous dire :
Moi, je suis peintre aussi !
Notre artiste, ébranlé, raconta ce langage
Chez le barbier du voisinage,
Qui lui dit : Quoi ! c'est vous qui prendrez des leçons !
Vous, maître s'il en fut, vous iriez à l'école !
Ce serait vous gâter, croyez-en ma parole,
Nous autres y perruquiers, nous nous y connaissons ;
Nous admirons surtout la muse échevelée,
Qui, d'un pédant savoir ne s'étant pas gonflée,
Montre des nouveautés dont le monde est surpris.
De votre mérite incompris
En vain dans ce hameau la valeur se signale.
Produisez vos pinceaux en pleine capitale ;
Là vous aurez de beaux succès.
A Paris-lorsque je passais,
J'ai rasé bien des gens qui méprisaient l'étude,
Et ne récoltaient pas moins d'honneur pour cela.
Allez-y sans inquiétude,
Vous verrez qu'en ce pays-là
Maintenant il suffit qu'on peigne
Comme je donne un coup de peigne,
Moi qui n'ai sur mon art aucune notion,
Et qui frisai toujours par inspiration.
Allez-y, dessinez comme un enfant crayonne ;
Fabriquez des tableaux comme n'en fait personne,
Sur vous les trésors vont pleuvoir,
Et sachez avant tout.... qu'il ne faut rien savoir !
Mon Raphaël crédule arrive en diligence
Dans la grand'ville, où l'influence
Du bon goût avait prévalu.
Le dessin romantique était passé de mode.
De cet homme on siffla l'ignorante méthode,
Et pour peindre une enseigne on n'en eût pas voulu.

On a vu des croûtons qui seraient grands artistes,
Si des faux connaisseurs les louanges si tristes
N'avaient de leur talent fait avorter le fruit ;
Mais, par un sentiment que ma fable constate,
Nous écoutons plutôt l'ignorant qui nous flatte
Que le savant qui nous instruit.

Livre III, fable 8




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