Un Peintre peu connu, malheureux, mécontent,
Grand génie incompris, comme l’on en voit tant,
Avait un épagneul, des Médors le modèle,
Soumis, docile, intelligent, fidèle ;
Hélas ! ces heureux dons ne lui servaient de rien
Son maître ingrat, pour prix de ses gambades,
Lui prodiguait gros mots et rebuffades,
Et de son insuccès se vengeait sur le chien.
A cette époque, une importante affaire
L’obligea de quitter Paris ;
Il partit, laissant au logis
L’épagneul et sa ménagère.
A peine était-il éloigné,
Que, se croyant abandonné,
Médor s’agite, s’inquiète,
Perd l’appétit, va, vient, furète
De haut en bas, de la cave au grenier ;
Puis, retournant à l’atelier,
S’y couche dans un coin, le cœur gros et l’air triste.
Soudain, dans un cadre poudreux,
Il aperçoit le portrait de l’Artiste,
Peint par lui-même et d’un aspect piteux.
Tout aussitôt, Médor contre le mur se dresse,
Pousse des cris de joie, et tente d’un seul bond
De s’élancer jusqu’au plafond
Vers cet objet de sa tendresse ;
Mais point ne bougea le portrait.
Il réfléchit et s’imagine
Que son maître le regardait
Par une lucarne voisine.
Le voilà qui part comme un trait,
Enfile l’escalier, court d’étage en étage,
Fouille dans tous les coins, flaire chaque passage…
Peine inutile ! épuisé, haletant,
L’oreille basse, il revient lentement
S’étendre, bien penaud, le museau sur ses pattes,
En face du portrait, sans le quitter des yeux.
Le Peintre enfin rentra dans ses pénates,
Y rapportant sa morgue et son front soucieux.
De prime abord, la femme de ménage
Raconte à notre personnage
La scène du portrait, car elle avait tout vu.
— « Ah ! ah ! Médor m’a reconnu,
Dit l’Artiste, rempli d’un orgueil indicible ;
» Dieu ! quel trésor ! quel animal sensible !
» Mon chien, bon appréciateur,
» A plus de tact cent fois que maint faux connaisseur,
» Qui chaque jour dénigre mon mérite… »
Dès ce moment, caressé, mieux nourri,
Et vivant en vrai sybarite,
Médor de son patron devint le favori.
De cet heureux retour sans soupçonner la cause,
Il chérissait son maître, il en était chéri ;
Qu’avait-il besoin d’autre chose ?…
Dans ce siècle d’airain, l’égoïste, au cœur dur,
Rarement apprécie un dévoûment sincère ;
Il est, pour le toucher, un moyen bien plus sûr :
Flattez son amour-propre, et vous saurez lui plaire.