L'Homme et la Puce John Gay (1685 - 1732)

Tout ce qui vit dans l'air, sur la terre ou sur l'onde
Est plein de vanité, de vanité profonde.

L'Epervier croit qu'il est dans son destin
D'avoir le peuple oiseau pour proie et pour butin ;
Et les tyrans ! Ceux là plus orgueilleux encore
De traiter leurs sujets toujours de Turc à Maure !

Lorsque le Crabe voit perles et diamants
Au fond des mers, ou bien qu'il voit le Tage
Rouler ses flots étincelants
Sur les sables dorés de son heureux rivage,
Quand il gagne en rampant un bosquet de corail,
Quand au dessus de lui l'immense soupirail
Dẹ l'Océan, mugit de son plus grand murmure,
66 Quelle est bonne pour moi, " se dit-il, " la Nature
De me donner tous ces plaisirs !

Lorsque l'oeillet en fleur se voit près de la Rose,
que chaque jardin sous l'aile des zéphirs
Donne un parfum nouveau par chaque fleur éclose
Quand la Pêche rougit au regard indiscret
Du soleil, comme Laure aux propos d'un muguet,
Quand le Figuier fléchit sous ses énormes figues,
Que la Vigne succombe au poids de ses fatigues ,
Le Limaçon lui, sort de sa maison,
Jette un regard sur les fleurs et sur l'arbre,
Et dit : "Ma foi, c'est beau d'avoir fait à foison ,
Tout cela pour moi seul, et mon palais de marbre ! "

Du haut d'un roc en regardant
L'immensité des mers, et des cieux la voussure,
L'Homme, des animaux le plus outrecuidant,
Dit : " Quelle dignité dans l'humaine nature ! "
Cependant le soleil dans l'or de son manteau
S'ensevelit vivant dans la mer plus obscure,
Et la lune sans bruit allumant son flambeau
Du jour annonce la clôture.
L'étoile cligne l'œil au milieu de l'azur,
C'est l'heure où vers le ciel s'élève un encens pur.

L'Homme soudain : " Quand je vois ce spectacle—
Ce spectacle imposant- l'immense Immensité !
Et sous mes pieds, ce surprenant miracle
D'un monde sous les eaux-puis la diversité
Des habitants des bois, de l'air et de la plaine,
Et puis le jour, la nuit, l'année et la semaine
Se succédant par saison tour-à-tour,
Et lorsque je me dis : Le Ciel dans son amour
Pour l'Homme-a tout créé, tout jusqu'à ce silence ! ...
Je puis, je crois, sans être exorbitant
Me mirer dans mon importance !
Dieu ! que je suis donc important ! "

"Important !-Que nenni ! tu l'es bien moins que moi, "
Sur son nez attablée exclama jeune Puce ;
"Sois humble ! sache-le, je le dis sans astuce,
L'orgueil ne te sied pas Homme sans foi ni loi.
La vanité t'aveugle et te boursouffle ;
Quoi ! la terre et le ciel seraient créés pour toi !
Pour toi ! qui n'est créé, marouffle
Que pour nourrir Mon Peuple et Moi. ”

Livre I, fable 49




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