Le Lièvre et ses nombreux Amis John Gay (1685 - 1732)

Comme l'amour, l'amitié, c'est vain mot
A moins qu'on sache à deux en partager le lot.
L'enfant qui de plusieurs est le bijou précaire,
A rarement connu les tendres soins d'un père.
Ainsi de l'amitié. Compter beaucoup d'amis
C'est n'en avoir aucun. C'est moi qui vous le dis.

Un Lièvre qui, comme le fabuliste
Dont je m'honore ici d'être le traducteur,
Comme GAY, notre moraliste,
Tombait d'accord sur tout même avec un auteur,
Etait connu partout de la gent bestiale
Broutant la plaine ou fréquentant le bois,
Ayant soin d'éviter coterie ou cabale,
Il aimait un chacun comme un ami de choix.

Ayant quitté son gîte un jour avant l'aurore,
Pour goûter la pelouse et le frais du matin,
A peine il dégustait et la sauge et le thym,
Que tout à coup un bruit sonore
Pif, paf, pouf pa-ta-pan lui dit : C'est le Chasseur !
Il s'arrête en sursaut, dresse l'oreille, écoute,
Il sent la mort qui vient, il la sent, il a peur ;
Mais ce suprême instant ne l'abat point, il joute
Avec les Chiens de chasse et d'astuce et d'ardeur,
Il tourne autour de lui, fait un cercle, un dédale
Pour leur donner le change, et se forme en spirale,
Tant enfin qu'il s'abat demi-mort de frayeur.

Mais soudain quel transport de joie !
Il voit paraître le Cheval.
"Laissez-moi," lui dit-il, "sur votre dos loyal,
Ami, me cramponner, déjà la meute aboie. "
"Pauvre petit," lui répond le Cheval,
" Te voir en cet état, vrai, cela me fait mal,
Rassure-toi, surtout prends bon courage
J'entends derrière moi tes amis du pacage."
A l'orgueilleux Taureau, des torts le redresseur,
Il a fait une humble requête.
"Mon cher," répond ce haut et ce puissant seigneur,
"Ne prenez pas à mal cette réponse honnête :
Entre amis, voyez-vous, on ne se gêne pas ;
Or, soit dit entre nous, l'amour m'attend là bas ;
J'ai certain rendez-vous donné depuis dimanche
Avec divine vache blanche,
Un rendez-vous d'amour, est rendez-vous d'honneur ;
Mais j'aperçois le Bouc voilà votre sauveur."
Mon cher, " fit observer le Bouc, " beaucoup trop vite
Votre pouls bat. Votre œil pesant m'invite
A vous dire : mon dos pourrait vous faire mal ;
Voici la Brebis , je vous quitte.
Elle a tissu plus chaud, et le trot plus égal. "

La Brebis fit l'aveu d'une extrême faiblesse,
La laine lui pesait, elle craignait d'ailleurs
Les chiens de chasse-et puis elle avait des vapeurs,
Elle était dans son jour de petite maîtresse.

Notre Lièvre en dernier ressort
S'adresse au Veau : " Sauve-moi de la mort
Toi qui trotte menu, cher ami. ” —“ Mais le puis-je !
Si jeune, y pensez-vous ? Votre désir m'afflige.
Plus capables, plus vieux vous ont répondu non !
Moi si faible ! Eux si forts, et si pleins de courage !
Si j'osais loin d'ici vous porter au rivage,
Il se donne du galbanon !'
Se diraient mes amis ! Vous connaissez mon âme ;
Sur moi ne jetez pas de blâme,
Mais les plus chers amis sur cette terre, hélas !
Doivent tous se quitter, et c'est ici le cas !
J'entends la meute, et sa musique infâme...
Nous vous regretterons. -Adieu ! Bien doux trépas ! "

Livre I, fable 50




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