Un lièvre ambitieux, ou, pour parler plus juste,
Un lièvre plein de vanité ; —
La chose est rare un peu, mais une foi robuste
N’y verra point d’énormité —
Un lièvre vaniteux, vous dis-je,
Voulant se donner du prestige,
Résolut, un bon jour, de rompre avec les siens.
Il rougissait vraiment de leur pauvre fourrure
Et de leurs pâles entretiens.
Il se flattait d’avair une belle tournure,
Un langage correct,
Et puis de l’intellect
À revendre.
Avec cela l’on peut se rendre
Quelquefois assez loin.
Mais je n’ai pas besoin
De vous dire — c’est manifeste —
Qu’il s’aveuglait profondément,
Comme tous les vrais sots, du reste.
Il voulait fréquenter le plus intimement,
Parmi les animaux du globe,
Ceux qui sont habillés d’une superbe robe :
Les martes, les castors, les loutres, les visons.
Il ne savait pas trop s’il verrait les belettes ;
Les renards, pas du tout, excepté les grisons.
Il sortit pour chercher de nouvelles toilettes,
Car il ne pouvait pas, sans être fort bien mis,
Se présenter chez ses nouveaux amis.
Il eut une fortune étrange, inattendue :
Il trouva, cet heureux chercheur,
Une peau de loutre perdue
Tout récemment par un chasseur.
Elle lui faisait à merveille,
Sauf à la place de l’oreille,
Mais il n’en eut aucun souci
Et crut pouvair rester ainsi.
Il avait raison, j’imagine,
Car on ne peut assurément
Se transformer absolument ;
Quelque chose toujours trahit notre origine.
Donc notre lièvre fat,
Prenant son exeat,
Sortit de sa famille en son nouveau costume,
De la loutre suivit assez bien la coutume,
Et se donna beaucoup de mal
Pour se faire passer pour un noble animal.
Ses oreilles souvent excitèrent le rire
De son adoptive tribu,
Mais on ne voulut pas, toutefois, le proscrire,
Vu qu’il était fort bien vêtu.
C’est ainsi parmi nous que l’amitié s’exerce
À l’égard du sot parvenu :
On voit bien l’oreille qui perce,
Mais l’on préfère, c’est connu,
La sottise bien équipée
À l’esprit en veste râpée.