Deux voisines causaient. C'est bien dans la coutume.
Ce qui le serait peu — du moins je le présume
Et je le dis tout bas —
Serait d'en trouver deux qui ne causeraient pas.
Deux voisines causaient de mille et mille choses,
Se plaignaient surtout de leur sort,
Croyaient les autres sur des roses
Et, sans vouloir leur faire tort,
Auraient bien désiré d'échanger avec elles
Leur insupportable destin.
L'une trouvait pourtant des heures assez belles
Pour compenser certain chagrin ;
L'autre, tout au contraire,
Ne voyait pas comment
On pouvait décemment
Un instant se complaire
Dans un monde pareil.
— Oui, depuis que je vois la face du soleil,
Disait-elle d'une voix sourde,
Je traîne, hélas ! tu le sais bien,
Une chaîne affreusement lourde !
L'autre ajoutait : — C'est vrai ; mais moi n'ai-je donc rien ?
Les veilles, le travail, et puis la maladie ?
Cependant, malgré tout, j'aime encore la vie.
— Je la déteste, moi ! j'en ai bien trop goûté !
La belle chose, en vérité,
Qu'une longue existence
À faire pénitence
Pour ceux qui près de vous nagent dans les plaisirs !
L'objet de mes désirs,
C'est la mort ; qu'elle vienne !
Je suis bonne chrétienne,
Mais je suis lasse de souffrir.
La mort entra soudain.
— Je viens pour vous offrir
Mes humbles services,
Dit-elle, et finir vos supplices.
— Madame la mort,
S'écria la femme chagrine,
Prenez donc ma voisine
Tout d'abord !…
Quelque triste que soit de nos jours le poème,
Quel que soit le bonheur que l'on espère aux cieux
On aime toujours mieux
Voir mourir ses voisins que de mourir soi-même.