Il était un Vieillard, Sage de son métier,
Sage, dont nous voyons maint habile héritier
Fleurir, aujourd'hui, dans Lutèce,
Sage, faisant trafic des leçons de sagesse,
Qu'il pratiquait sur le papier.
Ce marchand de philosophie
Comptait, assure-t-on, plus de cent ans de vie.
Donc, à bien employer le temps,
Si, d'être dûment Sage il eût eu bonne envie,
Dûment l'eût - il été depuis quatre-vingts ans.
Bref, quel qu'il fût , voilà qu'un jour le Centenaire
Entend frapper à son logis ;
Il ouvre : c'est la Mort ! ... Contre son ordinaire,
Oh ! n'avait-elle pas, d'un assez beau sursis,
Gratifié son tributaire ?
Non ; comme il s'était fait de sa longévité,
Un brevet d'immortalité :
Quoi, sitôt ! s'écria notre prétendu Sage...
Sitôt ! répond la Mort ; cent ans sont- ils un âge,
Que tu tiennes si court, ingrat ?... Et le Vieillard,
Pensant qu'il la pourra convaincre à force d'art,
Appelle à son secours toute sa rhétorique,
Puis, en ces mots incontinent réplique :
O Déesse, en effet, je dois avoir cent ans ;
D'ailleurs , vous l'affirmez, je vous crois sur parole.
Mais , portez, s'il vous plaît , vos regards bienveillants
Sur ce livre, appelé, ce semble, à faire école.
Je ne l'ai pas encor tout à fait complété ;
Il y manqué certain chapitre,
Que vous approuverez , Déesse , à plus d'un titre,
Tant je l'ai calculé, retourné, médité.
C'est... Ce sera, du moins, un éloquent traité,
D'une puissance irréfragable,
Et propre à démontrer à tout le genre humain,
Qu'il se fait, bien à tort, de votre aspect divin,
Une idée à la fois sinistre et redoutable ;
Que votre mission ne nous apporte, enfin,
Rien que d'avantageux , rien que de souhaitable.
Je ne demande pas , Déesse, un long retard :
Pour quelques ans de plus, si vous daignez attendre,
Que de grâces, ô Mort, l'univers va vous rendre ! ...
Sus, tout en ricanant , la Mort vous lui repart :
Sage pusillanime autant que babillard,
Le bel appåt, vraiment ! Espères-tu m'y prendre ?
Je fais peur aux humains ; tu voudrais leur apprendre
A me connaître mieux, à me mieux accueillir :
Eh ! que leur servirait ton traité de morale,
Lorsque cent ans de vie, à ton heure fatale,
Devaient pour si peu t'aguerrir,
Que, sous de faux semblants, ta frayeur se déploie ?
Arrière tes leçons ! Va, sans qu'on l'y renvoie,
Crois-moi, quiconque sait et prier et souffrir,
En saura plus que toi, Vieillard, pour bien mourir.
Insensé ! Le Destin eût centuplé ta voie,
Tu tremblerais encore, au moment d'en sortir.
Chacun son temps ; allons, c'est ton tour à partir,
Viens : la Mort n'attend pas sa proie !