Un vieillard, le long d'un ruisseau,
Allait se promenant ; tout-à-coup son chapeau,
Par le vent enlevé, laisse à nu son front chauve.
Comme bien on pense, à l'instant
Voilà, du mieux qu'il peut, mon barbon poursuivant
Le feutre léger qui se sauve.
Mais, ô rage ! ô traître destin !
Chaque fois que du bout de son grêle rotin
Il croit qu'enfin il le rattrape,
Crac ! le vent souffle, et, de nouveau,
Devant lui le damné chapeau,
Comme un lutin follet, s'échappe.
Bref, tant va l'un après l'autre courant,
De sa canne toujours pensant
Saisir et fixer sur la grève
Le fuyard que toujours un nouveau souffle enlève,
Que soudain, ce dernier sautant le bord de l'eau,
La pauvre canne à l'étourdie
Veut le suivre, et qu'en plein ruisseau
L'homme, la canne et le chapeau
S'en vont rouler de compagnie.
Je crois voir le mondain usant toute sa vie
A courir après le bonheur.
Ce sylphe à l'œil fascinateur
Semble lui sourire à distance.
Avec ardeur il le poursuit ;
Il va l'atteindre, hélas ! le voilà qui s'enfuit.
Et vingt fois sans succès sa course recommence ;
Tant qu'enfin, d'efforts vains, de fatigue, d'ennui
Transi, haletant, il arrive
Au bord du froid sépulcre où l'ombre fugitive
L'entraîne et se perd avec lui.