Un homme contemplait, dans l'extrême vieillesse,
Un chêne qu'il avait planté dans sa jeunesse :
Il l'avait vu s'accroître tous les ans
Et s'embellir ; on aime ses enfants.
Il se plaisait sous son ombrage,
A méditer sur les ruines du tems.
Mon arbre, disait-il, n'est que dans son printems ;
Moi, courbé sous le poids de l'âge,
Je sens que la caducité
M'impose la nécessité
De renoncer à l'existence :
Peut-on mettre tant d'importance
A des jours qui durent si peu ?
Cette existence n'est qu'un jeu.
Le chêne, du vieillard comprit la doléance,
S'enorgueillit, au point de mépriser
Le bon humain qui lui donna naissance.
Croyant que sa grandeur devait en imposer,
Il lui dit : j'ai pitié de la faible stature
De l'homme, qui se croit maître de la nature
Cet être fier prétend à soi tout rapporter :
Toujours dans l'avenir il veut se transporter ;
Mais pour ses grands projets, que sa vie est bornée !
La cruelle Atropos l'a bientôt terminée :
Moi, je verrai des siècles s'écouler ;
Mes rameaux atteignent les nues ;
Mes racines bientôt aux enfers parvenues ;
Aussi ferme qu'un roc, que puis-je redouter ?
Je ne crains rien ; des vents je brave la furie ;
De l'air et des saisons, l'affreuse intempérie.
Le bon vieillard, tranquillement,
Lui répondit : dans un moment
Tu verras si je sais réprimer l'insolence :
Je t'ai planté, tu me dois l'existence.
Le pouvair de t'anéantir
Est dans mes mains, et je dois te punir.
Cela dit ; prenant sa coignée,
Avant la fin de la journée
Le chêne tombe avec un bruit affreux.
C'est ainsi que l'audacieux
S'expose en bravant la puissance
D'un être dont il doit redouter la vengeance.