Le Chien trop regretté Jean-François Haumont (17** - 18**)

Orphise aimait bien tendrement,
Et sa sœur Lise, et son frère Idamant ;
Ils s'aimaient tous les trois d'une ardeur mutuelle.
Pour exemple on citait l'union fraternelle
De ce bon frère et ses deux sœurs.
Le sang et l'amitié, d'accord dans ces trois cœurs
N'en faisaient qu'un : le seul défaut d'Orphise
Était l'excès de sensibilité.
Il faut par quelque endroit sentir l'humanité.
Un jour mourut son aimable sœur Lise.
La tendre Orphise au désespoir
Versa des pleurs en abondance :
L'amour, de sa douleur lui faisait un devoir.
Le malheur me poursuit, je n'ai plus d'espérance :
C'en est donc fait ! dieux ! terribles décrets !
C'est ainsi que sa voix plaintive
Exhalait ses tristes regrets.
Les soins, la tendresse attentive
D'Idamant et de ses amis,
Tâchaient de calmer les ennuis,
Les chagrins de l'aimable Orphise.
Le tems, ce grand consolateur,
Appaisait un peu sa douleur.
La mort se plaît à la surprise ;
La cruelle voulut encor
Trancher les jours du petit chien Lindor.
Nouveaux regrets ! Orphise trop sensible,
Faillit de succomber à ce coup accablant.
Mon cher Lindor ! ah ! quel tourment !
C'en est donc fait ! est-il possible !
Le petit chien le plus joli,
Qui m'aimait tant, et que j'ai tant chéri !
O Parque inhumaine et barbare !
Tu le ravis, tu nous sépare,
Et fais renaître ma douleur !
J'ai donc perdu et Lindor et ma sœur !
Ah ! pour toujours le deuil est mon partage !
Puis un torrent de pleurs inondait son visage.
Damon, sincère ami, de retour un matin,
Témoin de ce nouveau chagrin,
N'osait questionner son amie affligée :
Pourquoi dans la douleur est- elle encor plongée ?
Quel est donc ce nouveau malheur ?
Idamant, mon ami..... son frère....
Serait-il vrai ?.... sa mort. ô destin plein d'horreur ! «
Incertitude affreuse, et qui me, désespère !
Orphise, au nom des dieux ! quel est donc le sujet ?
Idamant serait-il l'objet
Des larmes que je vois répandre ?
Non, dit Orphise, il vit ; mais ce pauvre Lindor
N'est plus depuis trois jours, et je le pleure encor.
Je respire ! Vos pleurs ont droit de me surprendre ;
Tant de sanglots, un chagrin si cuisant ;
Vous m'avez fait trembler pour les jours d'Idamant.
Sexe charmant, on doit mesurer sa tendresse ;
Tous ces transports, cet excès de douleur ;
Pleurer un chien comme une sœur
La sensibilité devient une faiblesse.

Livre III, Fable 10




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