Le Chien devenu vieux Théodore Lorin (19è siècle)

Moufflard, mâtin robuste, à la fleur de son âge,
Était l'ami des bons, la terreur des méchants :
Tous les animaux malfaisants
Tremblaient devant sa force et son mâle courage.
Aussi, de son maître chéri,
Toujours bien choyé, bien nourri,
Menait-il une heureuse vie.
Mais par malheur la vieillesse ennemie
Vint l'assaillir. Ses pas deviennent chancelants :
L'une après l'autre il voit tomber toutes ses dents.
Un soir qu'un loup rôdait près de la bergerie,
Moufflard veut l'attaquer ; car en dépit des ans
Son cœur a conservé toute son énergie.
Vains efforts ! Le rusé larron
S'échappe ; et dans sa fuite il emporte un mouton.
Le maître alors, plein de furie,
Accourt, et prenant un bâton,
Frappe son serviteur fidèle
Qui s'échappe en poussant un soupir douloureux.
Deux jeunes chiens passaient. « Ah ! dit le malheureux,
Mes amis, malgré votre zèle,
D'un sort pareil au mien vous êtes menacés.
L'homme, tant qu'il attend de nous quelque service,
Nous comble incessamment de soins intéressés ;
Sommes-nous vieux, nous voilà délaissés,
Et son égoïste inj ustice
A bien vite oublié nos services passés. »

Livre I, Fable 17




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