Un philosophe atrabilaire,
Que d'un bizarre et sombre caractère
La nature avait affligé,
Dans un coin retiré vivait seul sur la terre.
Le monde, que jadis il avait négligé,
L'abandonna : malheureux, solitaire,
Il languissait sans parents, sans amis.
Sans amis, je me trompe ; un vieux barbet fidèle,
Aveuglément à ses ordres soumis,
De dévouement admirable modèle,
Veillait auprès de lui. Sa bonté, sa douceur,
De tout autre, sans doute, eût consolé le cœur ;
Et pourtant, ce zèle si rare
N'obtenait trop souvent de cet homme bizarre,
Tout pétri de fiel et d'orgueil,
Qu'un froid et dédaigneux accueil.
Du bon barbet le cœur tendre et sensible
Ne se rebuta point : il trouvait bien amer
Ce cruel traitement ; mais de ne plus aimer,
C'était pour lui chose impossible.
Il redoubla de caresses, de soins.
De son maître il savait prévenir les besoins.
Bravant les balais, les houssines,
On le voyait dans les cuisines
Cherchant à dérober quelques mets succulents,
Qu'il enlevait à la barbe des gens,
Et que, pour soulager la misérable vie
De son ami, bien vite au gîte il rapportait.
Dans le partage il se traitait
En vrai cadet de Normandie,
Prenant pour lui les plus chétifs morceaux,
A son maître gardant les meilleurs, les plus beaux.
Mais par malheur, à la fin, sa faiblesse
Ne seconda plus son adresse :
Il fut surpris, battu. Bref, notre pauvre chien
Dans le triste réduit ne rapporta plus rien.
L'homme méchant, encore aigri par la misère,
Et n'écoutant que sa colère,
Meurt en voulant frapper son zélé bienfaiteur.
« Pauvre maître ! je te pardonne :
Dans notre vie en proie à la faim, au malheur,
Ma part fut constamment la bonne.
D'un ami vrai les dons ont bien quelque douceur,
Mais le plus grand plaisir est pour celui qui donne. »
Ainsi parla le chien, et ce bon serviteur
Près de son maître ingrat vint mourir de douleur.