Deux chiens d'une humeur différente
Gardaient la porte d'un logis :
L'humeur de l'un était accorte, prévenante,
Il caressait les grands et les petits ;
Son âme tendre, aimante,
Semblait à tous vouloir du bien :
Médor, enfin, était un bonhomme de chien.
L'autre, aboyant et menaçant sans cesse,
A personne jamais n'avait fait de caresse :
Chien hargneux, qui toujours était jappant, grondant,
Atout venant montrant la dent,
Et par fois même le mordant.
Or, un jour, le frère du maître,
Arrivant d'un lointain pays,
Et que nos chiens n'avaient encore pu connaître,
Se présente au logis.
Le chien hargneux goûtait un léger somme
Près de la loge du portier.
Le bon Médor, à l'aspect de notre homme,
Au plaisir de le voir se livrant tout entier,
Avec ardeur autour de lui s'empresse,
Et, par mille transports témoignant sa tendresse,
Fait tout pour obtenir une seule caresse ;
Il n'obtient pas un regard seulement :
Méprisant de Médor le tendre empressement,
L'homme au portier court demander son frère :
Sa voix a réveillé Dragon ;
Toup-à-coup, de sa loge il s'élance d'un bond,
Sur le nouveau venu signalant sa colère,
Il montre en aboyant une dent meurtrière
Qui le menace de ses coups.
Afin de calmer ce courroux,
L'homme aussitôt le caresse, le flatte,
Et d'un fort bon gâteau
Qu'avait su préparer une main délicate,
Lui donne le meilleur morceau.
D'un coup de dent notre chien le dévore,
Mais n'est point satisfait ; il en demande encore :
Il demande tant et si bien,
Que du gâteau, bientôt, il ne resta plus rien.
Notre homme, alors, veut suivre son chemin ;
Mais après lui Dragon aboie,
Le suit de près, enfin le mord ;
Peut-être même en eût-il fait sa proie,
Sans le secours du bon Médor.
« Ô Ciel ! toi dont j'ai pu mépriser les tendresses,
Dit-il, c'est toi qui viens à mon secours !
Et lui, que j'ai comblé de dons et de caresses,
Il ose attenter à mes jours !
Ah ! je le vois ; il est bien fou celui qui pense
Par la reconnaissance
Gagner le cœur d'un scélérat :
Qu'il le comble de biens ; toute sa bienfaisance
N'en fera jamais qu'un ingrat, »