Soyons donc toujours bons, ai-je dit quelque part.
Cependant, puisque dans ce monde,
La race des méchans abonde,
Se montrer toujours bon fait courir maint hasard.
Pourquoi ' faut-il, par fois, que bonté soit sottise ?
Tel qu'en tous lieux on tympanise 7
Vivrait content, s'il eût, pour l'honneur de son front,
Su venger son premier affront.
Un Agneau de douce nature,
S'introduisit dans une basse-cour :
' Sous l'œil du maître il crut s'assurer, dès ce jour,.
La nuit, plus de repos, le jour, plus de pâture.
La basse-cour le reçut assez bien :
Il fut surtout bien accueilli du chien,
Du coin de l'œil pourtant un marcassin l'observe ;
Maint jeune bouc se tient sur la réserve ;
Enfin sous le dehors d'un maintien fort discret,
Le chat cache assez bien un ennemi secret.
Près de l'Agneau Jeannot lapin s'avance ;
Et, tout en bondissant, gambadant, sautillant,
Lui fait, d'abord, une légère offense :
L'Agneau la souffre ; et, cette patience
Rendant Jeannot plus insolent,
Il lui fait, d'un air effronté,
La plus grossière impertinence :
L'Agneau la souffre encore et fuit déconcerté.
On le suit, on le berne ; en proie à la malice,
Chacun tient contre lui mille méchants propos ;
Le marcassin lui tond la laine sur le dos.
Bientôt le chat, dépouillant l'artifice,
D'un coup de grifse a fait couler le sang ;
Le bouquetin lui déchire le flanc ;
Tous fondent sur l'Agneau, tous d'en faire leur proie
Se font une barbare joie.
Aurait-il éprouvé ce malheureux destin,
S'il eût d'abord puni Jeannot lapin ?
Les pervers ne sont pas si terribles qu'on pense :
Qu'on en punisse un seul, tous gardent le silence.