Le Loup et l'Agneau Jean-Baptiste Voinet (1976 - ?)

Le Loup et l'Agneau

Douce et claire rivière, on me connaît fidèle,
Calme et souple ruisseau, j’abreuve sans juger,
D’une eau pure, légère et chaque fois nouvelle
Chacun des animaux qui viennent s’y plonger.
Que vous soyez chasseurs, que vous aimiez la plante,
Que vous mangiez la chair, que vous n’y goûtiez point
Vous êtes bienvenus ; de mon eau rassurante,
Goûtez, buvez autant que vous aurez besoin.

J'aimerais vous conter qu'un beau matin d'automne
J’aperçus un grand loup s’approcher de mon bord
Alors qu’un peu plus bas, qui n’ennuyait personne
Buvait un jeune agneau, tout seul et sans renfort.
Tout en naïveté, debout près d’une souche,
Sans se douter de rien, demeurait le mouton.
Mais naturellement, le loup ouvrit la bouche
Et s’adressa ainsi au petit avorton :

« - Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage,
Et pour qui te prends-tu, jeune et sot effronté ?
Dit alors l’animal, les yeux plein de rage,
Tu seras châtié de ta témérité. »
- Oh… si j’ai mal agi, monsieur, qu’on me pardonne,
Pourrez-vous m’apporter justification ?
Car là où je me tiens, je ne gêne personne,
J’aimerais, voyez-vous, quelque explication.

Troubler votre boisson me paraît impossible
- Tu la troubles pourtant, petit et si j’aboie
Ce n’est pas par plaisir. – Monsieur, je suis la cible
D’une erreur car cette eau descend de vous à moi.
- Qu’importe ce détail car j’en sais davantage :
On m’a dit que de moi tu médis l’an passé.
- L’an passé, non, jamais, regardez mon jeune âge ;
Comment l’aurais-je fait si je n’étais pas né ?

– Soit, alors c’est ton frère, aujourd’hui, que j’accuse !
- Impossible, monsieur, de frère je n’ai point !
- Ne cherche pas en vain, de nouvelles excuses :
Moutons, chiens ou bergers, vous n’êtes jamais loin,
Vous ne m’épargnez guère ; il faut que je me venge. »
Sans juge, sans procès, sans plus affabuler,
Au fond des bois, le loup l’emporte et puis le mange.
Cependant que mon eau ne cessait de couler.



Le Loup et l'Agneau 2

- Oh, le mouton ! Ça va, tranquille !?
Ok, t’es sûr qu’j’te dérang’ pas ?
C’est bon, peinard, on s’fait pas d’bile !
Tu débarqu’s sans prév’nir, comm’ ça !

- C’est que je tête encor ma mère
Vous pouvez m’appeler l’« agneau »
En quoi puis-je donc vous déplaire,
Je viens juste boire de l’eau ?

- Tu peux déjà fair’ tes prières :
Notre Pèr’ et tout l’tralala !
Tu bois, tranquill’, dans ma rivière
Presque comm’ si j’étais pas là !

- Troublerai-je votre breuvage
Quand je me penche et quand je bois ?
Comment comprendre votre rage
Cette eau descend de vous à moi.

- J’ai jamais pu blairer ta tête
Vous me saoulez, vous les moutons !
Avec tout’s vos stupid’s bouclettes
Je sais bien qu’vous êt’s des faux-j’tons !

- Je m’étonne d’un tel vocable
Et de son emploi par vos soins,
J’aimerais vous être agréable,
En tout lieu, soyez-en témoin.

- Là tu m’prends pour un imbécile ?
Tant pis pour toi, tu vas prendr’ cher !
Tu m’as fourni tous les mobiles,
Tu paieras aussi pour ton frèr’ !

- Monsieur, si je puis me permettre
De frère n’ai point, ni de sœur.
Serait-il possible d’admettre,
Qu’il pourrait y avoir erreur ?

- Là tu vois mes griff’s, que j’aiguise ?
Tu vois ma gueul’, tu vois mes crocs ?
Toi, tu vas morfler, quoi qu’tu dises
Fais tes prièr’s ! Bye bye l’agneau !



Le Loup et l'Agneau 3

J'aimerais seulement boire à cette rivière
Me le permettrez-vous, messire aux longues dents.
Vous êtes en amont et je suis en arrière,
Comment aurais-je pu, alors, être imprudent ?
Comme vous, j'ai suivi l'appel de la nature,
J'ai recherché de l'eau, je suis venu, afin
D'étancher cette soif, goûter à l'onde pure ;
Je suis navré, monsieur, que vous ayez si faim.

J'aimerais seulement boire à cette rivière
Me le permettrez-vous, messire aux longues dents.
Je ne suis qu'un agneau qui tête encor sa mère,
Ma laine est un duvet, je suis né au printemps ;
M'auriez-vous confondu, peut-être avec un autre,
Un autre plus âgé que moi qui l'an passé
Aurait commis, méchant, cette si grave faute,
Vous aurait insulté, vous aurait offensé ?

J'aimerais seulement boire à cette rivière
Me le permettrez-vous, messire aux longues dents.
Vous devez faire erreur car je n'ai point de frère,
Comment aurais-je pu vous nuire un seul instant ?
Il me semble bien que, quoi que je dise ou fasse,
Vous répondrez toujours et j'aurai toujours tort.
D'argumenter sans fin, je m'use, je me lasse,
Je m'abandonne à vous, vous êtes le plus fort.



Le Loup et l'Agneau 4

Monsieur Loup s’approchant de l’eau de la rivière
Remarqua, en aval, un tout petit mouton
Il avança d’un pas, d’une démarche altière,
Se mit à boire un peu, en trempant son menton.
Puis il se releva, visa le petit être
(Bien plus qu’il n’avait soif, il était affamé),
Il approcha d'un pas ; il approcha d’un mètre
Puis de deux, puis de trois, et se mit à clamer :

« - Qu’est-ce là, jeune ami, me voilà bouche bée
Je n’ai pas souvenir d’avoir jamais vu ça,
Jamais ! Vous êtes là, à quelques enjambées,
Vous buvez en ce lieu, que Dieu me dispensa…
- Monsieur le Loup, comment savoir ce que désire
Le Juge, Le grand Tout, l’Univers ou le Temps ?
Si le ciel a voulu de vous, ici, messire,
Peut-être a-t-il voulu m’y savoir tout autant ?

- Oserais-tu donner des leçons de morale
Au fauve que je suis ? As-tu vu mes deux crocs ?
Sais-tu que je me place, en la vie animale,
Parmi les mieux armés, les plus grands, les plus gros ?
- Vous pourriez découper, j’en ai bien conscience,
En un seul coup de dents, ma fragile toison ;
Vous me l’avez montré, vous avez la puissance,
Ne croyez pas, pourtant, que vous ayez raison…

- La raison du plus fort prévaut sur tout le reste
C’est là pure évidence et c’est sans discussion
Et sans procès non plus, que je vais, d’un seul geste,
Mater, tuer dans l’œuf cette révolution.
- Je ne discute plus, toute querelle est vaine,
La vie vous a doté de précieux atouts
Cette histoire prend fin, vos griffes dans ma laine ;
Vous êtes le plus fort, je m'abandonne à vous.



Le Loup et l'Agneau 5

Je suis venu boire l'eau
L'eau claire et discrète,
Loin du troupeau, sans grelot,
Grelot ni clochette.
Vous gênais-je en buvant dans
Dans cette rivière,
Aurais-je été imprudent
Dans l'eau pure et claire.

Je tête encore le sein
Le sein de ma mère
Je suis sage comme un saint
Saint comme sur terre
On en trouve des milliers
Milliers de merveilles
Tous les petits nouveau-nés
Nés de l'avant-veille !

Dans les bois, sur le trajet
J'ai laissé mon père,
Dans les champs et les genêts,
Je n'ai point de frère.
N'accusez pas les bergers,
Bergers et bergères,
De ne point vous épargner,
Vous épargner guère.

Je suis venu et je bois
Je bois cette eau claire ;
Qu'irons-nous faire en ces bois
Ces bois millénaires ?
N'avez-vous pas écouté
Écouté la fable
De l'agnelet nouveau-né
Né doux et aimable.



Le Loup et l'Agneau6

Un loup, c'est pas grand-chose
Ça vit, ça meurt, comm' toute chose,
Ça naît, un beau matin,
Ça piaille et ça cherche le sein,
Ça pousse et puis ça change
Et que ça bouge, et que ça mange !
Et si l'on veut manger assez
Il faut bien apprendre à chasser

Un agneau, c'est pas grand-chose
Ca vit, ça meurt, comm' toute chose,
Ca naît, un beau matin,
Ça piaille et ça cherche le sein,
Ça fait des cabrioles
Qu'ell's ont de la vie, ces bestioles !
Ça reste toujours en troupeau
Ça craint les griffes et les crocs.

Et si, si d'aventure
Le loup croise dans la nature
Debout, près d'un ruisseau,
Un petit agneau jouvenceau,
Figure d'innocence
De pureté et d'impuissance,
Que croyez-vous qu'arrivera
Croyez-vous qu'on en sourira ?

Si vous cherchez justice
Et que le plus grand l'on punisse,
En vain, vous espérez ;
Le loup partira rassasié.
Pauvre bête, on s'étonne,
N'avait fait de tort à personne,
Pourtant, elle ne verra pas
L'été qui s'approche à grand pas.



N°1 : Une valse a été écrite sur cette chanson. Ici, on a pris le parti de la rivière, qui regarde passer les choses et qui n'en garde rien, ni jugement, ni ressentiment, ni blessure. Décembre 2021

N°2 : On note une nette différence de registre entre les deux animaux. On peut interpréter ce texte en slam. Décembre 2021.

N°3 : Il existe un chant harmonisé pour chorale, sur ce texte. Mai 2023

N°4 Décembre 2023

N°5 : Pour une fois, ce texte n'a pas été pensé dans le but d'écrire une chanson. Sa forme particulière en atteste, d'ailleurs. Juillet 2023

N°6 : On m'a déjà posé la question : « Faut-il que l'agneau meurt forcément à la fin ? Oui. L'agneau doit mourir. » Janvier 2024


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